La subsidiarité est souvent évoquée, voire invoquée. Or, elle a un coût. Mais celui-ci est amplement justifié au regard des bénéfices retirés.
« There are three stages in your reintegration. There is learning, there is understanding, and there is acceptance » (1984, George Orwell, part 3, chapter 3 – O’Brien to Winston).
Le télétravail ne vient pas d’apparaitre. Mais il s’impose véritablement depuis le déclenchement de la pandémie liée à la COVID-19. Diriger des personnes et des projets n’en a pas été profondément modifié pour autant. Mais il a quand même fallu réexaminer quelques uns des grands principes et envisager des ajustements. Ainsi, le travail collaboratif s’affirme désormais plus que nécessaire. Mais il vient avec des conséquences pour l’ensemble des acteurs impliqués dans le processus.
Ceci posé, comment garantir que la machine fonctionne correctement et, surtout, qu’elle continuera de fonctionner ? À ce stade, nous pouvons dire que, pour le bien tant des affaires que des individus, la meilleure solution s’appuie sur une subsidiarité apprise, comprise et, bien entendu, acceptée. Apprise de manière à partir sur de bonnes bases. Comprise, entre autres, quant à ses implications. Acceptée, enfin, pour pouvoir réagir de manière appropriée en toutes circonstances.
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1. La subsidiarité : de quoi s’agit-il ?
Dans subsidiarité, il y a subsidiaire. Selon le Petit Robert, cet adjectif provient du mot latin subsidiarius (troupe de réserve) et désigne « un élément accessoire, qui doit venir à l’appui d’une chose plus importante ». En a découlé le principe de subsidiarité souvent utilisé en politique, mais également en management ; et, lorsque le droit s’en mêle… il faut vraiment commencer à réfléchir.
Dans les faits, ledit principe consiste, pour l’autorité, à donner la responsabilité de ce qui peut être fait au plus petit niveau estimé compétent – donc considéré comme le mieux placé – pour résoudre un problème ou mener une action. Ce qui peut être ressenti et compris de diverses manières :
- l’autorité attend dudit niveau qu’il fasse son travail ;
- l’autorité garantit à chacun son autonomie ;
- l’autorité se défausse en cas de problème ;
- etc.
Faisons ici fi de toute interprétation et adoptons une approche positive : la manière la plus productive d’appliquer la subsidiarité consiste à faire en sorte que chacun agisse et prenne les décisions correspondant à son niveau de responsabilité et de compétence. Cependant, il ne suffit pas de décréter la subsidiarité pour que celle-ci s’applique naturellement. Il y a, en effet, un prix à payer.
2. La subsidiarité : combien ça coûte ?
La haute autorité va-t-elle déléguer, lâcher un peu de son pouvoir ? De son côté, le niveau impliqué entend-il assumer son autonomie et les responsabilités qui vont avec ; en a-t-il la volonté ? Le prix à payer concerne donc l’ensemble des parties en présence : il impose d’accepter, d’assumer, de former ou de se former.
- Accepter constitue probablement le premier stade. Le dirigeant doit ainsi admettre que tout ne se conforme pas exactement à sa conception, que ses collaborateurs disposent d’une marge de manœuvre et qu’ils puissent prendre des initiatives. Le corollaire, pour les collaborateurs, leur impose d’inscrire leur action dans l’esprit du chef (charge à celui-ci de l’indiquer au préalable) et aussi d’accepter une forme de contrôle.
- Assumer consiste, pour le dirigeant, à admettre que ses collaborateurs puissent commettre des erreurs (les fautes constituent une toute autre histoire) par ignorance ou manque d’expérience et à les faire siennes. De leur côté, les collaborateurs doivent reconnaitre et assumer leurs erreurs. Ils doivent également accepter – où l’on reparle du contrôle – les commentaires (si possible constructifs) de leur dirigeant.
- Former est la conclusion logique de ce qui précède. Là réside tout l’intérêt du dirigeant s’il veut que ses collaborateurs progressent ; et, en acceptant et en assumant, il les aide à grandir. Pour ce qui les concerne, les collaborateurs doivent faire l’effort de se former (cela ne tombe pas du ciel). Ceci les aidera à mieux accepter, à pleinement assumer et à réduire petit à petit le nombre et la portée de leurs erreurs.
Tous doivent donc payer leur écot. La bonne nouvelle est que les gains profiteront également à tous. Mais de quelle manière ?
3. La subsidiarité : pour quels bénéfices ?
Des bénéfices qui profitent à tous concernent les individus aussi bien que le collectif. Les premiers s’imposent comme acteurs à part entière en s’éloignant, à grandes enjambées, de leur immobilité (voulue ou forcée). Le second voit immanquablement ses capacités démultipliées et en récolte les fruits en toutes circonstances.
- L’individu grandit, donc. Il acquiert confiance en soi et gagne celle des autres. Il a, également, une compréhension accrue de la situation ce qui l’aide à mettre son action en cohérence avec celle de son service, voire de l’entreprise.
- Tous ces gains se voient renforcés par l’accord d’une liberté d’action. Celle-ci, plus ou moins importante en fonction du contexte, favorise l’esprit d’initiative. Ce qui procure à l’organisme et à chacun une très grande réactivité.
- Fort de toutes ces compétences individuelles et collectives et de cette confiance réciproque, l’autorité peut ainsi décider, au regard des circonstances, par exemple d’accorder une grande marge d’initiative à tel individu et de réduire celle de tel service. Elle sait que tous comprendront, accepteront, voire anticiperont cette décision.
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La subsidiarité ne se décrète pas. Elle mérite cependant l’investissement individuel et collectif indispensable à son implémentation. Elle s’avère, aussi, incontournable à l’ère du numérique, que cette dernière soit subie ou acceptée. Par dessus tout, elle est la marque d’un système qui sait s’adapter et évoluer.
La phrase extraite de 1984 au début de cet article se situe lors d’une phase de… lavage de cerveau. Mais elle peut être aussi bien transposée dans un contexte autrement plus optimiste, réaliste et productif. Ainsi, comme le déclarait l’amiral James O. Ellis Jr (US Navy), alors commandant en chef des forces navales américaines en Europe : « Les enseignements (lessons learned) n’ont de valeur que s’ils sont effectivement appris et suivis d’effets » (I/ITSEC, 28 novembre 2000).