Le RETEX est de plus en plus évoqué. Déjà mis en œuvre dans certains secteurs, il fait son chemin dans l’enseignement supérieur. Cependant, il mérite qu’on y réfléchisse encore pour préciser plusieurs aspects.
« Les enseignements n’ont de valeur que s’ils sont réellement compris, appris et suivis d’effets » Amiral James O. Ellis, 28/11/2000, I/ITSEC
Au printemps 2020, nous sommes en pleine pandémie. Je constate que l’expression « retour d’expérience » (RETEX, parfois REX) fleurit à l’écrit comme à l’oral. Cela me rend cependant perplexe et je m’interroge sur la signification que beaucoup lui donnent. C’est ainsi que me vient l’idée de publier un article sur le sujet dans mon blog.
A peu près à la même époque, je m’associe avec Pascal Junghans, président de CEREINEC) et Philippe Lépinard, maître de conférence en sciences de gestion à l’IEP Paris-Est à Créteil et expert devant l’Eternel en ludopédagogie. L’idée : concevoir un dispositif pédagogique de RETEX générique au profit des futurs managers et des dirigeants. Cette démarche est marquée par une première publication.
Introduction
Passée cette entrée en matière, Philippe et moi poursuivons nos travaux en 2021 et 2022. Nous menons ainsi plusieurs expérimentations et publions quelques articles jusqu’à la validation du processus. Ce dernier fait désormais partie intégrante des modules de l’IEP.
Depuis, nous continuons nos recherches. Nous participons également à la rédaction d’un ouvrage destiné à la formation des managers de demain. De mon côté, j’ouvre mes yeux et mes oreilles dès qu’il est question de RETEX, d’analyse après action, de lessons learned (en français moderne). Bref, je parcours tout ce qui semble se rapporter au sujet.
C’est ainsi que j’ai trouvé nécessaire de réfléchir plus avant, mais sous un aspect plus terre à terre, à ce que recouvre le RETEX, au temps qu’il faut lui consacrer et à la détermination d’un possible effet final recherché. D’où les trois réflexions évoquées ci-dessous. Lesquelles apportent des éléments de réponse à la question « Quelles sont les contours et les limites du RETEX ? ».
Sur la définition du RETEX
Nous avons, dans nos différentes publications, fourni une définition nécessairement académique du RETEX. Mais il est possible d’adopter une approche plus rustique qui ne remet en aucun cas la définition scientifique qui s’impose. C’est là que la citation de l’amiral Ellis prend toute son importance. Je l’écoutais dans l’auditorium ce 28 novembre 2000 (je constitue donc, ici, la source primaire) et j’ai véritablement été marqué par ses mots. En fait, comme vous pouvez le constater, je m’y réfère très souvent.
J’ai, pour la traduction française, utilisé le mot « enseignements » qui me parait le mieux indiqué ici. L’amiral, lui, a prononcé l’expression américaine consacrée lessons learned. Ce qui, traduit textuellement, signifie leçons apprises et correspond… au RETEX. Car l’expression anglaise, telle qu’utilisée en 2000, décrit bien le processus :
- tirer des leçons de ce qu’il est advenu (des enseignements) ;
- en comprendre impérativement les tenants et aboutissants (pourquoi cela s’est-il passé, quelles conséquences potentielles, quelles solutions pour remédier au problème ?) ;
- prendre des décisions et appliquer les mesures qui s’imposent. Sans cela, tout ce travail n’aura servi à rien.
En français, le RETEX convient parfaitement… à une condition : bien comprendre toute l’étendue du mot « retour ».
Or, la plupart du temps, ce mot est réduit à sa plus simple expression.
- Voici un premier exemple : « J’ai utilisé cet appareil la semaine dernière ; voici mon retour, mon RETEX ». Cela convient éventuellement pour un comparatif mais guère plus : il s’agit ici d’un simple test.
- Choisissons-en un second : « Suite à… nous avons dressé le bilan des problèmes rencontrés ». Oui, et ?
Conclusion : l’absence de l’un des trois piliers de l’amiral rend caduque le processus. Il ne s’agit donc pas d’un véritable RETEX. Vous comprenez maintenant ma préférence pour cette approche.
Sur la durée du processus
Tout comme la nature même du processus, sa durée est questionnable. Dans l’article de 2020 déjà cité, j’évoquais le RETEX à chaud et celui à froid. Je dois admettre que la référence au premier visait plus à rassurer. En effet, nombreux sont ceux qui redoutent une forme d’investissement dans un tel processus : peur de l’inconnu, crainte de devoir trop consentir en matière de ressources, de temps, de budget, etc. Néanmoins, cela mérite de se pencher sur cette question quelques instants.
Prenons l’exemple d’une expérimentation ou encore d’une activité. Le processus peut parfaitement s’appliquer. Les constats, leur analyse, l’élaboration de solutions correctives ou de pistes de progrès constituent, en soi, un véritable RETEX à chaud. Mais que se passe-t-il au-delà ? La tentation est grande de s’en contenter et de passer à autre chose. Ce qui, bien que parfaitement compréhensible, constitue une erreur : celle qui consiste à ne pas vérifier la pertinence des mesures adoptées.
En effet, il est impératif de les contrôler dans le temps. Et en plusieurs occasions. Pour les infirmer, les confirmer ou encore les ajuster. C’est seulement ainsi qu’elles pourront être effectivement validées. Ce qui ne rime pas avec une garantie à vie. L’opportunité de rouvrir un dossier pourra – ou devra – toujours se présenter dans l’hypothèse, par exemple, d’une évolution technologique importante ou encore de circonstances extraordinaires. Et non pour répondre au seul fait du Prince.
Conclusion : pour mieux traverser le désert – pardon, parcourir la longue route – il est préférable d’adopter une logique de long terme. Sous peine de devoir tout recommencer à chaque fois. Le film « Edge of tomorrow » constituant la version optimiste de la démarche. Tout comme, pour les ainés, « Groundhound day« . Les amateurs d’Histoire préfèreront peut-être lire « The defence of Duffer’s drift« .
Vers la permanence du RETEX
Vous me voyez venir. Du court au long, la suite logique est d’instaurer un RETEX permanent. Celui-ci peut même s’étoffer au point de concerner l’ensemble de l’organisme et de ses membres, collectivement comme individuellement. Il bénéficiera également de la prise en compte de l’environnement de l’entité. Je pense, par exemple, à la relation avec les clients, les fournisseurs, les partenaires et même les concurrents.
Dans ces conditions, chacun aura conscience d’appartenir à un véritable organisme apprenant qui cherche, en permanence, à progresser et à tirer parti de toutes circonstances. Le retour d’expérience ne constituera plus une contrainte imposée, redoutée ou mal vécue. Il deviendra plutôt une sorte de fédérateur pour aller de l’avant. Il permettra aussi de mieux réagir aux imprévus comme peut le faire un athlète en pleine possession de ses moyens, conscient de ses limites comme de ses capacités et adaptant au mieux son programme d’entrainement.
Mais pour ce faire, encore faudra-t-il dépasser le stade du processus. Ce dernier deviendrait alors un véritable acte réflexe maîtrisé par chacun. Dans ce cadre, les aspects techniques du mode opératoire se feraient oublier pour se fondre dans une forme d’état naturel. Pourvu qu’on en comprenne l’intérêt, qu’on en perçoive bien le contour et que chacun le veuille.
Conclusion : l’étape suivante consiste à atteindre le stade de permanence avec comme objectif le progrès collectif et individuel.
Conclusion
Nous sommes donc partis d’un processus qui, déjà par essence, se veut global pour constituer un RETEX digne de ce nom. Mais encore faut-il que ce dernier s’inscrive dans le temps long pour prouver son efficacité. Et, surtout, l’idéal serait d’instaurer un état-d’esprit ad hoc, une véritable culture du retour d’expérience. Ce qui permettrait de faire non pas de la prose sans le savoir mais du RETEX, naturellement, sans y penser, mais en ayant parfaitement conscience des actes à accomplir.
Image en en-tête :@2021_Olivier Douin Conseil