Personnalité des chefs, combinaison des moyens, adaptabilité (ou non) constituent, au regard du facteur temps, des éléments importants dans une bataille.
‘British, Canadian and American commanders all shared one belief. To reduce their own losses, they would always rely on heavy aerial bombing… The terrible paradox about democracies at war is that because of the pressure at home from the press, public opinion and politicians, commanders will try to reduce their own casualties by any means’, Anthony BEEVOR, ‘D-Day. The battle for Normandy’
Comme évoqué dans l’article précédent, OVERLORD fit l’objet d’une formidable planification. Formidable, mais imparfaite et incomplète. Si le débarquement, en soi, se révéla un succès – les Alliés prirent pied définitivement sur les plages – tous les objectifs prévus le premier jour furent loins d’être atteints. Par exemple, les Britanniques ne s’emparèrent pas de Caen – ville située à 15 kilomètres au sud de la côte – le 6 juin. Il s’ensuivit un retard qui contribua grandement à la durée de la bataille de Normandie.
De nombreux facteurs sont à considérer. A commencer par l’ennemi. Sans oublier les contingences liées à l’environnement, météorologie comprise. Mais il en est un dimensionnant dans la plupart des batailles, objet du présent article : le commandement. L’état d’esprit des chefs, leur manière de conduire les opérations et leur aptitude à se coordonner relèvent d’une importance capitale.
1. Sur le commandement
‘As the German recognized, the British were very brave in defence but often far too cautious in attack‘, Anthony BEEVOR, ‘D-Day. The battle for Normandy’
Les expressions tendant à généraliser constituent des pièges. En effet, « le commandement », « les chefs », les ceci ou les cela ne procurent qu’une imparfaite compréhension des évènements. Ils ne permettent pas davantage de présager des suivants. Adopter cette vision, c’est faire fi de la personnalité, de la culture, du vécu des différents protagonistes. Or cela revêt une importance non négligeable dans l’analyse d’une coalition, ici celle des Alliés ; ou dans celle d’une armée importante dont l’étendue du champ de manœuvre et l’architecture complexe du commandement compliquent tout, dans le cas qui nous intéresse l’armée allemande.
1.1 Des personnalités très tranchées
‘… He [general Marshall] surrounded himself with men who were offensive-minded and who concentrated on the possibilities rather than the difficulties. In every aspect, Eisenhower was exactly the sort of officer Marshall was looking for‘, Stephen E. Ambrose, ‘Eisenhower. Soldier and President’
Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour imaginer l’ampleur de la tâche qu’a constitué, pour le général Eisenhower, le commandement de la coalition. Laquelle se composait, principalement, d’Américains, de Britanniques, de Polonais et de Français. Son sens de la stratégie, sa capacité à coordonner des armées de cultures différentes, son respect de la hiérarchie, mais aussi sa capacité à maintenir le cap furent sa force. Tout comme sa capacité à dialoguer avec Churchill ou le général de Gaulle. Sans compter le fait qu’il bénéficiait de l’entière confiance du général Marshall qui, nous l’oublions souvent, supervisait tout depuis Washington.
Or, il lui faudra composer avec des hommes comme le général Montgomery. Ce dernier démontre non seulement de mauvaises relations avec les Américains, mais également estime que Eisenhower ne possède pas le niveau requis. En outre, il donne l’impression d’avoir sa propre vision des choses laquelle ne semble claire que pour lui-même. Parallèlement, la tâche est tout aussi ardue avec des généraux comme Patton et Bradley. Le premier brille par ses capacités militaires indéniables, mais aussi par son impulsivité et des sentiments qu’il ne cherche pas à contrôler. Le second, qui devient le chef de Patton à partir d’OVERLORD, se montre moins audacieux, mais affiche plus de pragmatique ; ce qui ne l’empêche pas de faire preuve d’opportunisme.
Dans le camp adverse, les problèmes existentiels ne manquent pas davantage. D’un côté nous avons le maréchal Rommel, en charge de la défense du « mur de l’Atlantique ». Il manifeste une vision réaliste du danger et la volonté de se battre sur les plages. De l’autre se trouvent ceux qui, à l’instar du Maréchal von Rundstedt, préconisent une stratégie défensive. En outre, la chaine de commandement, comme les troupes, s’avère trop étalée dans la profondeur. Aussi, dès le début du Débarquement, la situation des unités au contact échappera aux commandants à l’arrière. Par ailleurs, règne un climat de défiance : nombreux sont les chefs impliqués, ou suspectés de l’être, dans la tentative d’assassinat du Führer. Si bien que leurs rapports, même conformes à la réalité, feront l’objet d’une grande défiance. Enfin, nous ne pouvons pas oublier la personnalité d’Hitler, qui « commande » directement et ne prend en compte que ce qui lui convient.
1.2 Les effets de la première guerre mondiale
‘Liddell Hart, however, feared that the problem was more fundamental. He believed that there had been ‘a national decline in boldness and initiative’… ‘let the machine win the battle’… that there was ‘a growing reluctance to make sacrifices in attack‘, Anthony BEEVOR, ‘D-Day. The battle for Normandy’
Ce serait faire preuve d’aveuglement que de sous-estimer l’impact durable des pertes massives subies pendant la première Guerre mondiale. La formule « plus jamais ça » domine pendant la montée du nazisme et, particulièrement, dans les années précédant l’embrasement. Or, si les Anglais vont manifester un grand courage dans la défense de leur pays, comme l’a prouvé leur résilience durant la « bataille d’Angleterre », les généraux britanniques se montrent beaucoup plus mesurés en Normandie, principalement pour éviter que des pertes trop importantes n’insupportent l’arrière.
Prenons un exemple pour illustrer ce point. A la fin de la première Guerre mondiale, près de 400 000 femmes galloises forment la Welsh League of Nations Union (WLNU). Elles traverseront l’Atlantique pour présenter à leurs homologues américaines une pétition exigeant un futur sans guerre. Il ne faut en aucun cas nier l’importance de ce mouvement pacifiste qui perdure : en 1981, ses membres marchent sur la base américaine de Greenham Common dans le Berkshire. Les plus déterminées maintiendront leur campement jusqu’en 2000.
1.3 L’importance de l’image
Comme nous venons de le voir, la perception de la guerre revêt une grande importance. Il en va du moral comme du soutien de la population.
Mais c’est également affaire d’influence, de communication et d’image. Ce qui justifie, parfois, certains choix tactiques :
‘Bradley was well aware of the frustrating situation, but the siege of Brest, although now pointless strategically, had become a matter of pride… ‘ but we must take Brest in order to maintain the illusion of the fact that the US Army cannot be beaten‘, Bradley à Patton, Anthony BEEVOR, ‘D-Day. The battle for Normandy’
Or, si pour les Alliés il s’agit d’une guerre pour la liberté, les Allemands, en revanche, bien pénétrés de la propagande nazie, la considèrent comme véritablement existentielle. Pour eux, c’est vaincre ou disparaitre, purement et simplement. Et il faut bien reconnaitre que ladite propagande est efficace si l’on en croit cette déclaration du maréchal von Rundstedt à Basil Liddell Hart : « Vous aviez surestimé de façon ridicule la valeur de nos défenses. Le « mur de l’Atlantique » n’était qu’une illusion, soutenue par la propagande pour tromper les Allemand aussi bien que les Alliés » (« Les généraux Allemands parlent », 1948). Sur le terrain, ce fanatisme conduira à des combats extrêmement violents et sans volonté de repli menés par certaines unités (notamment SS).
2. Sur la conduite des opérations
‘Churchill once remarked that the Americans always came to the right decision, having tried everything else first‘, Anthony BEEVOR, ‘D-Day. The battle for Normandy’
Ce qui précède aura inévitablement des conséquences sur le déroulement des opérations.
2.1 Quand les délais ne sont pas tenus
Le Débarquement est, indiscutablement, un succès. Les Alliés ont réussi cette phase et les moyens mis en oeuvre ne peuvent qu’impressionner. Mais ils ne s’emparent ni de Caen, ni de Bayeux, ce qui constitue un échec du point de vue du plan. Et génère une succession de retards. Il faudra COBRA, qui, d’ailleurs, ne démarre pas très bien, pour relancer les opérations.
Parmi les causes de cet insuccès, nous trouvons notamment les atermoiements de Montgomery. Par exemple, pour l’opération Goodwood, ‘On 12 July, he [Montgomery] sold Demsey’s plan to Eisenhower [son N+1]… Then, the very next day, Montgomery gave Demsey and O’Connor [ses N-1] a revised directive. This was more modest in its objectives… Montgomery never told Eisenhower and he never even informed his own 21st Army Group headquarters‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’). Quelles que soient les motivations de Montgomery, nous trouvons ici une succession d’erreurs combinant contre-ordres, absence de compte-rendu vers le haut et, surtout, d’information en interne.
Ce à quoi nous pouvons ajouter des traits culturels. Ainsi ‘As the American airborne commander General Maxwell D. Taylor put it, British senior commanders never had the tradition of really pressing subordinates. American generals thought that their British counterparts were far too polite‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’). Ce constat mériterait peut-être d’être nuancé. Il est cependant corroboré par des assertions comme : ‘Both Canadians and Americans were bemused by the British Army’s apparent inability to complete a task without a tea break‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’). Ou ce simple rapport : ‘Bayeux could have been attacked and captured that evening [6 juin],’ wrote Christopherson, ‘as patrols reported that the town was very lightly held, but the commanding officer of the Essex preferred to remain on the outskirts for the night‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’).
Face aux Alliés, dans un premier temps, se trouvent essentiellement des troupes ayant une mission de protection côtière. Une seule grande unité, la 21ème division de panzers est déployée près de Caen. A 15 kilomètres de la côte et sur le flanc est de l’offensive alliée, elle n’est pas en mesure de constituer une véritable réserve générale. Faute d’ordre, son général décide de lancer un mouvement de sa propre initiative. C’est en plein mouvement qu’il reçoit enfin des ordres et réoriente sa manoeuvre. En sus de délais dus en grande partie à un changement de chaine hiérarchique en pleine bataille, cet évènement confirme l’adage « ordre, contre-ordre, désordre ». En revanche, sa présence aura contribué à bloquer la progression des Alliés dans ce secteur. Et le retard occasionné permettra aux Allemands de faire venir des renforts.
2.2 Place à l’initiative
‘But brigadier general Maurice Rose did not waste the days of bad weather. He used them instead for intensive training of his tank infantry teams’, Anthony BEEVOR, ‘D-Day. The battle for Normandy’
Entre les progressions bloquées, un terrain ardu (le bocage normand), des conditions météorologiques difficiles, les axes de progression détruits, des bombardements certes massifs mais pas toujours efficaces, la parole est alors donnée à la réactivité, à l’opportunisme et au sens de l’initiative.
Ceux qui en sont privés, ce sont bien les Allemands. Malgré les tentatives de von Rundstedt et de Rommel, Hitler s’oppose à tout repli stratégique. Les unités se voient donc contraintes à se battre sur place. Avec les effets et les résultats que l’on sait : ‘German comanders suddenly comprehended the enormity of the disaster which they faced… The Germans suffered the downward spiral of sudden retreat and smashed communications. Few commanders knew were their troops were‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’). Par ailleurs, bien qu’expérimentées, il arrive qu’elles commettent des erreurs de débutants : ‘The bridge lay on the boundary between the German 326-Infantery-Division and the 3rd Paratroop Division, which is probably why neither had taken proper responsability for it’ (‘D-Day. The battle for Normandy’).
En face, les initiatives ne se révèlent pas toujours heureuses : ‘… the British I Corps commander… had made a grave error. On the afternoon of D-Day, fearing a major counter-attack east of the River Orne, he took the 9th Infantry Brigade away from its task of attacking between Caen and Carpiquet, and switched it to support the airbone division. This transfer also contributed to the dangerous gap between the Canadians and the British 3rd Division‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’). Comme on le voit, ce mouvement aboutit à réduire les capacités d’attaque et à déséquilibrer le dispositif.
Mais, sur le long terme, les soldats vont apprendre à combattre dans le bocage et à pénétrer dans les villages. Ils vont également parvenir à composer avec la réalité matérielle : ‘German anti-tank guns, not tanks, were mainly responsible for what was later called the death ride’ of the British armoured divisions. The lack of Infantry with the leading regiments had proved disastrous ‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’) : Ainsi, ils réécrivent en marchant les manuels tactiques et les adaptent à la situation.
2.3 Et au retour d’expérience
Nous nous trouvons donc dans un véritable processus de RETEX (retour d’expérience) à chaud, ainsi qu’à froid. Pour preuve, la question de ce canon allemand (les extraits ci-après proviennent tous de ‘D-Day. The battle for Normandy’ :
- ‘The allied obsession with Tigers and Panthers obscured the fact, unrecognized at the time, that they lost rather more Shermans abd Cromwell to German anti-tank weapons and Jagdpanzer tank destroyers‘.
- ‘Eisenhower’s reaction on hearing how much better German tank guns were could not have been more different from Montgomery’s attempt to suppress the issue. He wrote immediately to General Marshall and sent a senior tank expert back to the States to discuss what could be done to improve their armour-piercing ammunition‘.
- ‘Simonds [général de corps d’armée canadien] had learned from earlier British mistakes, especially those made during GOODWOOD. He decided to launch a night attack to reduce losses from the German’s vastly superior 88mm anti-tank guns. He also mounted leading infantry units in armoured vehicules‘.
Mais l’une des leçons majeures de la bataille de Normandie est bien l’importance de la coordination.
3. De la coordination
‘They also noticed a widespread reluctance to help other arms‘, Anthony BEEVOR, ‘D-Day. The battle for Normandy’
Dans une opération de l’ampleur d’OVERLORD, la coordination est essentielle. Elle s’appuie sur des ordres, certes, mais également aussi bien sur les relations entre les individus que sur des moyens techniques pour l’assurer. Dans le cadre de la bataille de Normandie, il s’agissait donc, comme nous l’avons vu, de coordonner les actions de chefs très différents et d’unités de nationalités diverses. Il fallait également amener à coopérer les trois composantes – terre, air, mer – et leurs chefs respectifs. En outre, sur le terrain il y eut lieu d’amener les différentes armes à combattre ensemble.
3.1. Sur l’interarmées
Avec autant de moyens engagés dans la bataille, en outre peu, voire pas, habitués à interagir, là encore les Alliés découvrirent « en marchant ». Prenons, par exemple, l’action de la marine : si ‘Many soldiers on Omaha later believed, with a good deal of truth, that these front-line destroyers saved the day‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’), en revanche ‘Most infantry officers afterwards felt that the naval support would have been much more effective if destroyers close in had targeted strongpoints from the start, rather than battleships firing blind from a great distance‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’). De la même manière, les tirs navals à grande distance, comme sur Caen par exemple, finirent par être abandonnés car beaucoup trop imprécis.
La coopération air/terre posera également de nombreux problèmes. A commencer par des tirs fratricides dès le jour J. Mais surtout lors des séquences d’appui air/sol. La coordination s’avéra souvent désastreuse lors du déclenchement de phases d’attaque, qu’il s’agisse de vues différentes entre les chefs, de retards liés aux conditions météorologiques, d’erreurs de topographie ou de signaux de reconnaissance inadéquates… En plusieurs occasions, les troupes au sol s’élancèrent sans bénéficier de l’appui aérien. Ou, au contraire, subirent le bombardement au moment de débuter leur mouvement. Le déclenchement de COBRA le 24 juillet constitue un cas d’école : un bombardement massif est prévu pour détruire les fortifications ennemies et appuyer le premier échelon ; l’opération est reportée pour cause de mauvaise visibilité, mais tous les bombardiers ne reçoivent pas l’information et larguent leurs bombes, réduisant à néant l’effet de surprise et, malheureusement, tuant des soldats américains.
Cependant, comme pour le combat dans le bocage, les Alliés apprirent à se coordonner. Ainsi, se constitua parfois une coopération en boucle courte entre les aéronefs et les troupes au sol : ‘The twenty P-47 Thunderbolts flying air support for the column took out any German columns flushed out by Doane’s rapid advance. Doane [lieutenant-colonel commandant l’unité au sol] was in direct radio communication with them and could direct the pilots on to any target ahead‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’).
3.2. Sur l’interarmes
La coordination interarmes va évoluer de manière similaire. La situation initiale est déjà criticable à petit niveau : ‘Men from the 116th said of the Rangers that ‘individually they were the best fighting men we ever worked with, but you couldn’t get them together to work as a team‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’). Mais, à un niveau plus élevé, les échecs initiaux dans le bocage illustrent le besoin d’une meilleure coopération entre les chars et l’infanterie. L’état des axes de progression, les nombreux obstacles et mines, amènent à faire plus souvent – pour ne pas dire systématiquement – appel aux unités du génie, voire à les pousser d’emblée vers l’avant. L’artillerie, déjà bien sollicitée, voit ses effets complétés par ceux des mortiers. Les appuis, notamment pour pénétrer dans les localités, font l’objet d’une meilleure utilisation.
Pour ce qui concerne la manoeuvre elle-même, toujours dans le cadre d’un processus de RETEX à chaud, les chefs, à différents niveaux de responsabilité, vont tirer les conclusions qui s’imposent. Les décisions déjà évoquées au § 2.3 du général de corps d’armée Simonds en attestent. Certains iront même, ultime et bienvenu sacrilège, jusqu’à prendre le contre-pied de la doctrine en vigueur : ‘Their commanders told the infantry to follow their tracks. This was against British Army doctrine, but the commanders of the 6th Guards Brigade and the 15th Scottish had agreed before the battle to do it if necessary‘ (‘D-Day. The battle for Normandy’).
3.3 Sur le partage de l’information
Mais monter une manoeuvre qu’elle qu’elle soit nécessite, avant tout, non seulement d’avoir la meilleure appréciation de situation possible, mais également que tous la partagent et parlent le même langage. Or, particulièrement durant la bataille de Normandie, les perceptions varient. Parfois, un grand classique, différents compte-rendus sur un même endroit, mais de points de vue différents, se contredisent. A d’autres moments, les effets des bombardements aériens ou des tirs d’artillerie font l’objet d’exagérations ; par exemple lorsque l’on assimile tout véhicule en déplacement à un char….
Et puis, nous en revenons toujours aux causes de défaillance habituelles. Pour ce qui concerne les individus : les idées reçues, la personnalité, les motivations, la pression, l’urgence, la fatigue, la panique, le nombre de messages à traiter… Pour les aspects techniques : l’état de fonctionnement des moyens de communication, les élongations, l’absence d’équipements ou, à l’inverse, un suréquipement disparate…
4. Donc…
« Et si c’était à refaire ? », la bonne et dernière question de toute séance d’analyse après action (3A) digne de ce nom.
Comme pour l’article précédent, les enseignements sont nombreux. Ils ont, d’ailleurs, perduré pendant des décennies. Se pose désormais la question de savoir s’ils se maintiendront à l’ère du numérique et, surtout, de l’intelligence artificielle (IA). Abordons quelques sujets.
4.1. Quoi, pourquoi, qui, contre qui ?
Que nous ayons ou pas le choix de constituer son équipe, il importe, avant tout, de savoir :
- avec quelles personnes nous allons travailler (personnalité, motivation, réputation, capacités, etc.) ;
- pour atteindre quels objectifs ;
- contre quels opposants agir (personnalité, motivation, réputation, capacités, etc.).
Il s’agira ensuite de chercher à résoudre l’équation en combinant tous ces facteurs.
Commentaire : les Allemands (Rommel) s’attendaient à affronter Patton lors du Débarquement. Le fait que celui-ci ne soit pas présent accrédita, un temps, l’hypothèse que l’offensive du 6 juin 1944 ne constituait pas l’attaque principale.
4.2. Quand, comment ?
Trois maîtres-mots dominent ici : délais, intelligence de situation, adaptabilité.
- Ne pas respecter les délais aboutit souvent à la remise en cause d’une opération, avec toutes les conséquences imaginables.
- Avoir conscience de la situation aide chacun à rester à sa place et à son niveau.
- Et conserver un certain recul et démontrer une véritable culture du RETEX permet d’adapter intelligemment son action.
Commentaire : ceci fut vérifié durant OVERLORD, positivement et/ou négativement dans les deux camps. Au cours des dernières décennies, une certaine tendance, accentuée par les progrès de la technologie, a prôné le commandement à distance. Pour constater que les perceptions divergeaient souvent considérablement malgré tout.
4.3. Avec qui, avec quoi ?
Les engagements, la plupart du temps, se font en multinational, quasiment toujours en interarmées et, au sol, en interarmes. D’où les incontournables suivants :
- développer une interopérabilité doctrinale et technique ;
- bien connaître les capacités des uns et des autres ;
- savoir combiner les effets en fonction de la situation ;
- bien gérer et partager l’information.
Commentaire : sans négliger, en multinational, la position politique des dirigeants de chacun des participants.
4.4. Et l’IA dans tout cela ?
L’intelligence artificielle permet, certes, le traitement et l’analyse d’une quantité inimaginable de données, dans un grand nombre de domaines. Ce qui, indubitablement, peut s’avérer utile dans la plupart des points évoqués ci-dessus.
Mais, je me pose quelques questions :
- quid de la connaissance exacte des individus (ici des chefs) ? Donc, de quelle quantité d’informations l’IA doit-elle disposer pour rendre une analyse acceptable ?
- quid de la compréhension de la situation au contact ? Avec la même question subsidiaire.
Finalement, il semble bien que l’homme ait encore un rôle à jouer.
*
Une question demeure, néanmoins : avons-nous de la mémoire ? Pour marquantes qu’elles soient, il se trouve que chaque génération a redécouvert les mêmes leçons, de conflit en conflit. Il suffit, pour s’en persuader, d’étudier un peu les engagements dans le Golfe, en Afghanistan ou, plus récemment, à l’est de l’Europe. Donc, finalement, je reformule la question ainsi : savons-nous apprendre ?
Photo en en-tête :@2024_olivierdouin, devant le mémorial PEGASUS à Bénouville