A propos de la gestion du temps, de la maîtrise de la langue et de l’aptitude au travail de fond.
Il est des mots, des groupes de mots, des textes qui font réfléchir.
Par exemple :
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément. »
Ces vers de Boileau (1636-1711) extraits de « L’Art poétique, chant 1 » (1674) sont probablement parmi ceux le plus souvent cités. Les occasions ne manquent pas : un discours nébuleux, un texte alambiqué, etc. Ceci est bien la preuve qu’ils sont d’une actualité redoutable. Tout comme d’autres du même texte, moins connus, mais tout aussi pertinents.
De la gestion du temps
L’ennemi, aujourd’hui, c’est le temps. Bousculés par les autres, commandés par les outils de bureautique supposés nous aider, nous voici emportés dans une fuite en avant que rien ne semble arrêter. D’ailleurs, en avons-nous seulement la volonté ? Et pourtant :
« Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous risquez point d’une folle vitesse : »
Et, ne nous leurrons pas : aussi efficaces que soient les machines et autres systèmes informatiques peu ou prou « intelligents », si nous ne prenons pas le temps de réfléchir, que pouvons-nous réellement espérer maîtriser ?
« Un style si rapide, et qui court en rimant,
Manque moins trop d’esprit que peu de jugement. »
De la maîtrise de la langue
Le français est compliqué, parait-il. Parce que les autres langues ne le sont pas ? Essayez et vous verrez lorsqu’il s’agira de dépasser une conversation basique. Le fait est que l’orthographe, la grammaire et le sens des mots sont largement mis à mal (et pas seulement en français). Ceci à l’oral comme à l’écrit. Le tout aggravé par l’usage intensif de nouveaux moyens de communication qui semblent justifier le rejet de toute règle… tout en en créant de nouvelles ; étonnant, n’est-ce pas ?
Or,
« En vain, vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux : »
Car,
« Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours quoi qu’il fasse, un méchant écrivain. »
Du travail de fond
Soyons honnêtes avec nous-mêmes : la fuite en avant et le mépris affiché de bon nombre de règles constituent avant tout une bonne excuse pour échapper à tout travail de fond. Lequel exige un peu d’effort (et du temps), tout comme, d’ailleurs, la démarche qui consiste à s’y soustraire… Alors, oui, les machines sont un prétexte. Et nous voici incapables de tirer tout le profit que nous sommes en droit d’espérer de leur puissance puisque tout aussi incapables du moindre effort et du respect de règles élémentaires.
Pourtant,
« Avant donc que d’écrire, apprenez à penser. »
Et d’ailleurs,
« Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : »
Et maintenant ?
Alors, le moment est peut-être venu de réapprendre à maîtriser le temps. De retrouver la fierté de connaitre sa langue. De s’imposer un véritable travail de fond, le seul qui produise un effet durable :
« Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »
… avec ou sans ordinateur, avec ou sans smartphone.
Je dédie ces lignes à Marcelle Douin, née Dalex (1926-2021).
Ma mère qui a toujours su prendre le temps nécessaire pour, avant tout, s’occuper des autres.
Et à qui je dois, pour la première fois, d’avoir entendu prononcer les vers qui introduisent le présent article.