COVID ou pas COVID, si nous parlions de retour d’expérience (RETEX) ?
Les références au retour d’expérience (RETEX) sont revenues en force avec le COVID-19 : « il faudra tirer les enseignements de la gestion de la crise », etc.
Mais le retour d’expérience a quelque chose en commun avec l’innovation ou encore avec l’intelligence artificielle : tout le monde en parle ; sans obligatoirement avoir une vision claire de l’ensemble du spectre que cela recouvre.
Or le RETEX (REX pour certains) est un processus qui engage toutes les parties prenantes, nécessite du temps ainsi que des données. Et qui engendre lui-même des conséquences.
A quoi sert le RETEX ? Quelles en sont ses facettes ? Et, surtout, comment le mener ?
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1. Le RETEX, pour quoi faire ?
Pour dire les choses simplement, l’objet du retour d’expérience est de tirer tous les enseignements d’une situation, d’un projet, d’une activité dans l’intention de progresser. Les attendus sont nombreux. En voici quelques exemples, illustrés par autre chose que la pandémie de 2020.
1.1. Combler un manque
C’est l’un des enseignements les plus simples qui soient. S’il existe des solutions immédiates ou réalisables à court terme, il est aisé de le prendre en compte et de répondre au besoin.
Ainsi, de nombreux exemples ont été fournis lors de l’engagement américain en Irak (2003-2011). Si l’offensive a été rondement menée, la situation s’est, ensuite, révélée bien plus compliquée que prévu. Ainsi, de nombreux équipements dit « sur étagère » ont dû être achetés dans l’urgence pour répondre à de non moins nombreux besoins opérationnels.
1.2. Rectifier
Il s’agit ici de corriger une situation défectueuse. A l’évidence, l’analyse doit être plus poussée, les paramètres de l’équation étant souvent plus nombreux et comportant plusieurs inconnues. Cela prend également beaucoup plus de temps.
Pour rester en Irak, considérons le scandale de la prison d’Abou Ghraib. Celui-ci éclate à l’été 2003. Les rapports officiels de 2004 mettront en lumière de nombreux facteurs : responsabilité de la chaine de commandement ; composition et organisation du corps expéditionnaire américain ; problèmes d’entraînement ; prise en compte, perception et compréhension du contexte à distance ; impact des discours des principaux dirigeants politiques, etc.
1.3. Transformer
Ici, l’intention est bien de progresser. Sont donc pris en compte le passé et le présent. Mais il s’agit aussi, avant de décider, d’envisager le futur et, donc, les conséquences du choix.
Pour en finir avec l’Irak, revenons en 2006. Le président américain admet que la situation est inextricable. Il donne, fin 2006, son accord à un changement de stratégie. Celle-ci passe par de nouveaux modes d’action, un accroissement notable des moyens (en personnel et en matériels) pour aboutir à un engagement beaucoup plus long que ce qui était initialement envisagé.
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Le RETEX est donc bien un processus qui vise à analyser l’ensemble des paramètres et à proposer des solutions permettant de progresser. Mais ce processus comporte souvent plusieurs niveaux.
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2. Le RETEX, un processus à géométrie variable ?
Le retour d’expérience se conçoit à plusieurs niveaux. Il se pratique également dans plusieurs espaces temporels. Là encore, essayons de rester simple.
2.1. A chaud
A chaud, donc dans l’action ou juste après, le retour d’expérience porte sur l’immédiat. Il aboutit soit à des mesures probablement temporaires, soit à des ébauches de solutions qu’il conviendra de confirmer.
Cependant, il faut rester vigilant :
- sans suffisamment de recul et faute d’une analyse globale, les solutions ainsi élaborées sont inévitablement de portée limitée ;
- il est tout à fait possible que certaines de ces solutions se contredisent à terme et/ou aient des conséquences indésirables dans la durée si on n’y prend pas garde.
Revenons à l’exemple évoqué en 1.1. : l’envolée des achats sur étagère au profit des opérations en cours a généré nombre d’effets pervers : problèmes de soutien, bascules budgétaires, annulations de programmes tout aussi indispensables mais moins visibles, génération de nouveaux besoins, etc.
2.2. A froid
A froid, les acteurs du retour d’expérience bénéficient de plus de temps. Ils s’appuient sur davantage de données. Et, surtout, il est possible de considérer un problème dans son ensemble pour aboutir à des propositions plus globales.
Cependant, il faut rester vigilant :
- il est rare qu’une solution globale procure le même degré de satisfaction à tous les niveaux. Les décisions passent donc également pas la considération de priorités ;
- le contexte évoluant, ne serait-ce qu’avec le temps, il ne faut pas commettre l’erreur de penser que les mesures prises sont immuables ou, pire, universelles.
Si je reprends l’exemple du 1.3, la nouvelle stratégie (ou Surge) a semblé donner les résultats escomptés. Mais, faute d’avoir été menée à terme et compte tenu des effectifs que ce type de stratégie nécessite, il est peu probable qu’elle soit reconduite à l’avenir.
2.3. Dans la durée
Dans un monde idéal, le RETEX ne s’arrête pas à l’énumération de propositions et à la prise de décision. Comme évoqué ci-dessus, le contexte évolue. Il est donc primordial de revisiter lesdites décisions pour :
- en contrôler l’effet ;
- les confirmer ou les amender ;
- vérifier leur pertinence lorsque de nouveaux facteurs apparaissent.
Cependant, il faut rester vigilant :
- cette démarche nécessite volonté et courage. Il est en effet confortable de ne rien changer ;
- il est indispensable de conserver l’historique du processus (qu’est-ce qui a fait que telle décision a été prise ?) pour faire évoluer la décision initiale en toute connaissance de cause.
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Après avoir successivement examiné le pourquoi et le quoi, tournons-nous vers le comment. Même si celui-ci a déjà été partiellement défloré.
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3. Les conditions du succès du RETEX
A chaud ou a froid, le retour d’expérience est un processus qui va bien au-delà de la simple intuition ou de l’avis des uns et des autres. Le RETEX nécessite donc un minimum d’ordre et de méthode. Il doit également éviter certains pièges.
3.1. Les principes de base du RETEX
L’intérêt et l’efficacité du RETEX reposent sur la durée, voire sur la permanence du processus. A l’inverse du simple constat ou de l’analyse limitée, il permet d’enchainer décisions initiales de court terme et décision de fond et aide à bâtir une véritable stratégie.
Le retour d’expérience, à l’instar de beaucoup d’autre sujets, est l’affaire de tous. Plus il y aura de points de vue, meilleures seront les données à analyser. Cela sous entend que chacun veuille faire avancer le débat et que le processus permette à chacun de s’exprimer.
Ce processus, enfin, est affaire de volonté de l’ensemble des participants. Les dirigeants doivent vouloir considérer les principales options et accepter d’y consacrer le temps nécessaire. Les parties prenantes doivent faire l’effort de participer, en faisant preuve d’honnêteté intellectuelle vis-à-vis des autres propositions et de discipline intellectuelle quant aux décisions prises.
3.2. Le pilotage du RETEX
A l’instar même du processus, son pilotage doit être évolutif. Il s’agit de l’adapter à son état d’avancement – à chaud, à froid, fonction de l’ampleur des décisions prises. En revanche, il est capital que quelques acteurs essentiels restent en charge le plus longtemps possible en vue de garantir la pérennité du processus et d’en assurer un historique cohérent.
Il doit également garantir la réalisation des étapes indispensables. Ce sont l’analyse (l’examen des données), l’élaboration des propositions (les réponses au problème), la prise de décision (les choix, les renoncements, les priorités, l’attribution des moyens), la révision des décisions prises (leur effet, les nouvelles données à prendre en compte).
Cependant, durée et déroulement processionnel doivent s’accompagner de l’acceptation de l’incertitude. En effet, le RETEX ne doit pas devenir prisonnier de lui-même, au risque d’avoir, encore et toujours, une guerre de retard.
3.3. Trois points clefs à surveiller
Tout d’abord, il faut, conformément à l’adage, éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier. C’est-à-dire, ici, de considérer que les réponses provenant de la situation qui vient d’être vécue constituent le nouvel évangile. Il peut y avoir des points communs mais le copier coller n’est pas de mise.
Ensuite, il importe de comprendre et d’accepter que les véritables enseignements prennent du temps. En effet, si les circonstances imposent parfois de prendre des décisions dans l’urgence, il ne faut pas s’arrêter là en pensant que le problème est réglé une fois pour toute.
Enfin, il est impératif de considérer tout problème dans le contexte global. Chaque choix, même limité, a des implications qui, bien souvent, n’apparaissent que plus tard faute d’une analyse d’ensemble. Ce qui explique pourquoi, finalement, les vrais changements, les changements durables, prennent beaucoup de temps.
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Donc…
Le retour d’expérience est bien plus qu’un acte technique. C’est, tout à la fois, un état d’esprit ainsi qu’un processus sans fin et vivant. Appliqué au COVID-19, il se conjuguera inévitablement à de nombreux niveaux fonction de la situation de chacun et de chaque organisme. Ainsi, nous ne devons pas commette l’erreur de croire qu’il débouchera sur un nouvel alpha et oméga rejetant un soi-disant ancien monde pour mettre en place un nouvel ordre lequel, pas plus que les précédents, ne sera en mesure d’affronter la prochaine crise majeure. Tout au plus permettra-t-il de rectifier certaines erreurs et de nous mettre en posture de mieux accepter l’incertitude.
D’où l’importance de pratiquer ce qu’on appelle la pédagogie de progrès. Mais cela, c’est une autre histoire.
« Les enseignements n’ont de valeur que s’ils sont réellement compris, appris et suivis d’effets » (Amiral James O. Ellis, I/ITSEC, 28/11/2000)