L’I/ITSEC – le salon mondial de la simulation – transformé en salon virtuel vIITSEC. Succès ou non ? Et pour quelles suites ?
vIITSEC, un I/ITSEC (Interservice/ Industry Training, Simulation and Education Conference) virtuel dans le monde de la simulation, ce n’est pas incongru. Mais il n’était pas pour autant attendu lorsque, à l’occasion de l’édition 2019 (suivez le lien), je louais les facultés d’adaptation du salon annuel mondial de la simulation.
La question est donc de savoir si celui qui s’est déroulé à distance – pour cause de COVID-19 – du 30 novembre au 4 décembre 2020 aura été une réussite. Et, au-delà, de s’interroger sur l’impact de la réponse sur les éditions futures.
Il est peut-être un peu tôt pour se prononcer, notamment pour la seconde partie. Surtout que la majorité d’entre nous n’envisageons pas vraiment (encore) un virtuel an 2. Tout dépend, bien sûr, des critères permettant la mesure du succès. Succès pour ce qui concerne les organisateurs, les exposants et, bien entendu, les visiteurs.
Mais commençons par le commencement en évoquant la transformation de l’I/ITSEC en vIITSEC. Puis passons en revue quelques-unes des grandes tendances et caractéristiques de l’édition 2020 – où va la simulation ? – avant d’évoquer ce qui pourrait advenir en 2021.
1. De l’I/ITSEC à vIITSEC 2020
L’I/ITSEC est, indéniablement, un évènement de grande ampleur qui combine exposition, conférences plénières, soutenances, tutoriels, démonstrations et évènements (plus de détails ici). Et qui, bien entendu, se déroule en « présentiel ». Comment faire, donc, lorsque le confinement et les restrictions de voyage s’en mêlent et ce à l’échelle mondiale ? Quelle solution pour qu’une édition virtuelle s’apparente, autant que faire se peut, à l’original ?
Les organisateurs – la National Training & Simulation Association (NTSA) – se sont appuyés sur deux piliers, eux-mêmes servis par un facteur de première importance.
En effet, ce dernier – le facteur temps – a joué en leur faveur. L’I/ITSEC est planifié systématiquement en fin d’année (fin novembre/début décembre). La NTSA a donc bénéficié de plusieurs mois pour anticiper l’évènement tout en s’appuyant sur le savoir-faire accumulé à l’occasion de conférences virtuelles qu’elle a organisées tout au long de l’année 2020.
Cette anticipation a permis de pré-enregistrer quelques 120 séquences d’une durée d’une heure (voire plus) chacune. Elle a également procuré les délais nécessaires à la mise au point d’un véritable hall interactif. Celui-ci, pour les habitués, est la copie virtuelle du hall du palais des congrès d’Orlando où se déroule habituellement l’I/ITSEC.
Le visiteur virtuel avait donc le loisir – y compris le vendredi (l’I/ITSEC se termine habituellement le jeudi soir) – à partir de ce hall :
- d’assister aux différente sessions, en direct ou pré-enregistrées et d’interagir lors des premières ou, lors de créneaux pré-établis, avec les auteurs des secondes ;
- d’accéder à leur « replay » accessible 24 heures sur 24 (très utile pour jongler avec la simultanéité des activités et le décalage horaire) ;
- de visiter les différents stands avec la possibilité de visionner des films, de télécharger des documents ou encore d’engager une conversation par chat avec les exposants ;
- de planifier des rendez-vous virtuels…
Il était donc tout à fait possible de retrouver ici une partie importante de ce qui fait le succès de l’I/ITSEC. Ce en fonction du forfait déboursé lors de l’inscription (cf. § 3)…
2. Où en est la simulation en 2020 ?
L’édition 2020 était organisée par l’armée de terre américaine sur le thème The future is now. Ce dernier illustre bien la situation : la simulation est présente partout, elle est désormais indispensable mais elle évolue fortement entre poussée des nouvelles technologie et besoin en forte hausse.
A propos de futur, la transformation de la 54ème édition de l’I/ITSEC en vIITSEC a été, plus que d’habitude, l’occasion de recueillir la vision d’un maximum de bénéficiaires finaux, américains et étrangers, militaires et civils. Par ailleurs, certains domaines confirment ou poursuivent leur progression et quelques autres se sont retrouvés au premier plan.
2.1. Attentes et prospectives
2.1.1. La vision des clients
Situation générale
Trois facteurs viennent bousculer les habitudes du point de vue américain :
- la pandémie a fait du virtuel un véritable élément de sécurité nationale ;
- elle procure une place de plus en plus importante à la formation virtuelle immersive ;
- elle provoque des départs massifs à la retraite (d’où un renouvellement conséquent en matière de main d’œuvre avec tout ce que cela comporte).
Parallèlement, l’industrie du jeu représente aujourd’hui un revenu de 160 milliards de dollars. A l’évidence, le tempo est désormais fixé par le secteur privé dans ce domaine.
Il s’ensuit une accélération exponentielle et non plus régulière pour la domination de ce nouveau pétrole que constitue le numérique. Cela impose :
- de revoir les processus d’acquisition et leur rythme dans les grandes largeurs,
- d’accepter une prise de risque,
- de développer les nouveaux produits et d’étudier le besoin de manière agile,
En substance, il n’est plus possible de procéder comme pour ces vingt dernières années. D’autant que de nouvelles structures, donc de nouveaux besoins, émergent.
Situation particulière
- US Space Force : créée en 2019, elle a un besoin impératif de systèmes qui lui permette de visualiser et de comprendre le combat dans l’espace (lequel est radicalement différent des autres formes).
- US Army Futures Command : créé en 2018, se focalise, dans un cadre interarmées, sur la description de l’horizon 2035. Lequel sera caractérisé par la multiplicité des actions, une vitesse d’exécution élevée et une létalité extrêmement importante. Il y a donc un besoin avéré de nouveau concepts ainsi que de solutions facilitant ladite vitesse ainsi que la prise de décision. D’autant que l’esprit humain aura des difficultés à tout gérer tout seul.
- US Marine Corps : tout en poursuivant son effort en matière d’entrainement, de simulation et d’expérimentation (lesquels constituent l’un des cinq facteurs du succès selon son Commandant), le corps des Marines travaille à sa modernisation pour 2030. A cet effet, il poursuit des objectifs très variés comme l’intensification de la formation par la simulation ou l’instauration de la répétition des missions avec la marine.
- US Navy : composée d’entités très disparates (« different tribes »), elle met désormais l’accent sur le partage d’expériences et l’entraînement commun entre ses membres. Ceci devrait être facilité par la récente bascule de l’acquisition dans le giron des opérations. Dotée de systèmes d’armes complexes et de haute technologie, elle fait effort sur l’entraînement à distance et travaille sur l’adaptabilité de l’environnement fonction du besoin et du niveau (ex. Project Avenger).
2.1.2. Le besoin d’innovation
Ce besoin a été particulièrement illustré par l’US Air Force.
Constat
L’aviation américaine [et pas seulement elle – note de l’auteur] est confrontée à des adversaires qui cherchent l’affrontement dans tous les domaines en ciblant ses faiblesses (ses dépendances) mais également de manière sophistiquée avec des systèmes modernes de défense sol-air, voire balistiques et d’attaque des réseaux.
Objectif
Maintenir l’avantage technologique en déployant les nouveaux systèmes plus rapidement que ses adversaires. S’appuyer sur la simulation pour matérialiser les environnements permettant une meilleure prise de décision par les chefs comme par les acteurs sur le terrain.
Vision
A partir d’une architecture horizontale intégrée commune à toutes les armées américaines,
- procéder aux expérimentations et évaluations nécessaires à ce niveau ;
- faire effort sur les données et leur partage ;
- mettre en œuvre des logiciels partagés pour en assurer une gestion commune.
Parallèlement, plusieurs PDG ont également échangé sur la question de l’innovation. Voici quelques-unes de leurs réflexions :
- les missions, la doctrine, l’entraînement, l’environnement, etc. changent si vite que, désormais, l’industrie doit s’efforcer d’anticiper les besoins du client ;
- la pression accentue drastiquement le risque d’erreur. Il est important de développer des systèmes de formation et d’entraînement personnalisables mettant l’accent sur le temps et descendant jusqu’au niveau individuel ;
- le facteur temps, justement, est primordial, notamment lors d’un conflit entre pays de même niveau. Les systèmes et capteurs modernes contribuent à l’accélérer. Ceci doit être répercuté dans l’entraînement pour rendre ce dernier plus efficace.
2.1.3. La surprise stratégique en ligne de mire
L’I/ITSEC contribue aux réflexions sur le sujet au travers de discussions sur ce thème et via des évènements dédiés tels le Black Swan (cygne noir). Bien évidemment, vIITSEC a transposé le processus.
Ce défi, dont c’était la sixième édition, a constitué une première : le Black Swan 2020 “Outsmarting the Virus” portait sur une surprise stratégique d’actualité répondant au nom de COVID-19. Il s’agissait, pour des scientifiques originaires du monde entier, de réfléchir aux modèles prédictifs en utilisant différentes méthodes.
- Le premier enseignement est que même l’intelligence artificielle (IA) ne peut pas, aujourd’hui, résoudre le problème.
- Le deuxième confirme ce que l’on savait déjà : les résultats dépendent de la qualité des données. Comme le dit l’adage : “bad data in equals bad data out”.
- Le troisième est qu’on n’a pas fini d’apprendre d’une surprise elle-même polymorphe : le virus évolue, et parfois de manière radicale, tous les jours.
Un objectif pourrait consister à fusionner la biomédecine et l’apprentissage automatique de manière à rassembler suffisamment de données en temps quasi-réel pour générer un jumeau numérique. Et de miser sur la prochaine génération d’IA.
2.2. Les sujets qui confirment
Année après année, il est des thèmes qui s’affirment un peu plus. vIITSEC 2020 a confirmé certaines de ces tendances.
2.2.1. Le médical
Indépendamment de la pandémie, le médical a beaucoup progressé dans le domaine de la simulation, qu’il s’agisse des premiers gestes, de l’établissement du diagnostic, d’une opération…
Simulation et réalisme
La simulation médicale pour les militaires est complexe et difficile. Les scénarios sont généralement limités. La représentation des blessures, certes d’apparence réaliste, n’est pas évolutive en fonction du traitement. Les blessés sont soit des mannequins soit des figurants qui ne manifestent pas un véritable ressenti physique et encore moins psychologique.
La société Soar Tech propose de franchir une marche en utilisant la réalité augmentée : les lunettes permettent de visualiser un blessé simulé qui correspond à la nature des blessures infligées. Son attitude, physiquement et émotionnellement, varie en fonction du traitement. L’entrainé comme l’instructeur bénéficient d’un retour réaliste et immédiat.
Un besoin en pleine expansion
Au-delà de la médecine de combat (ou de catastrophe) d’autres besoins se font sentir comme :
- des modèles analytique et prédictifs ;
- des simulations faciles d’emploi et aisément paramétrables pour la formation et la confrontation à de multiples cas concrets du personnel soignant ;
- des moyens de formation et d’entraînement virtuels en complément des séances réelles. Ce besoin est d’autant plus prégnant que le personnel et le temps sont comptés (en raison de la pandémie, par exemple.) ;
- des moyens de formation et d’entraînement virtuels des petites équipes qui n’ont guère le loisir de se rencontrer en dehors des salles d’opération, etc.
2.2.2. L’apprentissage
Il s’agit là d’une des cibles majeures de la simulation. Une place de choix est donc systématiquement conférée au learning pendant l’I/ITSEC. Ainsi, découvre-t-on que :
- le Dod (Department of Defense) travaille à l’instauration d’un véritable écosystème d’apprentissage numérique. Le but est clair : réduire les couts et optimiser le processus ;
- le Corps des Marines vient d’adopter une plateforme interactive de ses publications doctrinales. Cette plateforme (Eduworks’ PeBL Platform), outre la consultation des ouvrages, permet la création de séances de travail individuelles ou collectives, en ou hors ligne, synchrones ou asynchrones ;
- le partenariat avec le monde de l’éducation continue de se renforcer et même de s’élargir avec, notamment, une actualisation du programme de certification de la modélisation et de la simulation et l’apport de l’usage accru de l’enseignement à distance.
2.2.3. Les jeux sérieux
Les serious games sont apparus à l’I/ISEC en 2006. L’ambition était double : faire prendre conscience de l’impact des jeux sur l’apprentissage et présenter des exemples visant à amplifier leur usage à des fins sérieuses.
vIITSEC 2020, outre le traditionnel concours, était donc l’occasion de revivre ces quinze dernières années en suivant l’historique de chacun des finalistes précédents et en visualisant les résultats escomptés et obtenus.
Par ailleurs, on notera les travaux de la société Epic Games qui contribue, via Unreal Engine, à la convergence du jeu vidéo et de la simulation.
2.3. Quelques tendances appuyées
Au programme figurent quelques sujets d’actualité.
2.3.1. Le processus d’acquisition
Ce sujet est régulièrement évoqué depuis quelques années. L’an 2020 n’a pas failli à la règle comme la lecture du § 2.1.1. l’a déjà indiqué. Si le besoin opérationnel des militaires est pressant, les situations de crise comme celle engendrée par la COVID-19 accentue le problème.
A son niveau, le DoD s’efforce de mettre le processus en conformité avec la National Defense Strategy. Il s’agit ici de permettre la livraison et le soutien de moyens sécurisés et résilients rapidement et à un coût raisonnable.
2.3.2. La menace cybernétique
L’US Army propose plusieurs systèmes d’entraînement dont certains sont, d’ailleurs, à caractère interarmées. L’éventail de ces solutions permet d’entraîner, localement ou à distance, l’opérateur comme une grande unité.
L’un de ces programmes, le Persistent Cyber Training Environment ou PCTE, permet également le travail au sein d’une coalition.
2.3.3. La représentation de l’environnement
L’environnement synthétique est sur la table depuis la fin des années 90. Il a été essentiellement porté par le monde de la simulation et centré sur l’interconnexion des simulations instrumentées, virtuelles et constructives. Or, l’environnement opérationnel est de plus en plus complexe. De nouveaux domaines sont apparus (l’espace, le cyber). Le numérique prend une place de plus en plus importante. La quantité des données va croissant. Tout cela donne un coup de jeune à la représentation des environnements synthétiques. Leur usage premier : l’entraînement et l’appui à la réalisation des missions. Au sein de l’armée de terre, c’est désormais l’affaire de l’Army’s Synthetic Training Environment Cross-Functional Team (STE CFT)
3. Et au-delà ?
La question est ouverte : quel sera le format de l’I/ITSEC qui se tiendra du 29 novembre au 3 décembre 2021 ? Un retour à l’ancienne formule, un format entièrement virtuel dans la suite de l’édition 2020 ou une version hybride combinant les deux ? Le président de la NTSA, James Robb, contre-amiral à la retraite, a clairement indiqué pendant vIITSEC qu’il penchait pour cette dernière solution. Mais qu’il fallait étudier le concept plus avant en tirant les leçons de cette édition.
La NTSA mènera très certainement une étude approfondie, ne serait-ce qu’en raison des enjeux. Dont l’un des tous premiers consiste à attirer du monde. Mais il est d’ores et déjà possible d’évoquer certains des points favorables et défavorables des différentes options.
3.1. Des avantages
Les plus évidents du point de vue du numérique sont :
- la possibilité d’éviter le déplacement, d’où la limitation des dépenses, la réduction (en théorie) de l’impact sur l’emploi du temps comme celui sur Dame Nature (qu’il s’agisse des exposants comme des visiteurs) ;
- la faculté de pré-enregistrer les sessions, d’où la possibilité d’en multiplier le nombre et la diversité et celle de les visionner à l’envie (celles de vIITSEC peuvent l’être jusqu’à la fin de février 2021) ;
- la facilité, pour un même organisme, d’associer autant de membres que nécessaire à l’activité (dont d’accroitre significativement le nombre des participants) ;
- l’opportunité d’impliquer un environnement plus élargi. Par exemple en s’ouvrant davantage au milieu académique principalement représenté, jusqu’à présent, par celui de la Central Florida (voire en s’étendant au-delà des frontières) ;
- l’aisance à multiplier les contacts (le temps consacré à l’activité étant moins contraint) ;
- une excellent rapport coût/efficacité pour les conférences traditionnelles et autres « webinaires ».
3.2. Des inconvénients
Toujours dans le cas d’une solution numérique, il existe des inconvénients et des difficultés non négligeables. En effet, si la formule est très performante pour la conférence type, elle atteint vite certaines limites pour des évènements de type I/ITSEC avec :
- la difficulté, pour les exposants, à montrer ses solutions et, pour le visiteur, à les découvrir ;
- le risque certain à ne pas identifier des produits que l’on ne connait pas (alors que, physiquement, déambuler permet de se faire une idée en première approche) ;
- la quasi impossibilité d’échanger in situ à plusieurs (sauf à planifier une rencontre virtuelle, avec toutes les difficultés et les limites que cela implique) ;
- la logistique relative à l’enregistrement préalable des multiples sessions ;
- la mise en place de moyens humains et techniques pour assurer le fonctionnement et le soutien de l’ensemble et, dans le cas d’évènements hybrides, l’interaction avec les deux mondes ;
- la mise en place de véritables plateformes professionnelles procurant à l’exposant comme au visiteur l’expérience la plus fluide possible.
3.3. Vers un choix logique
L’hybride semble, donc, constituer une solution intéressante sur des salons de type I/ITSEC.
Mais il faudra prendre en compte les inconvénients listés au § 3.2. (et probablement d’autres). Au premier rang desquels la nécessité de rendre immédiatement visibles les produits exposés. Ainsi que celle de l’amélioration de l’expérience utilisateur. Cette dernière, pour vIITSEC, était fortement conditionnée par la formule choisie (pas moins de 10) et au tarif assorti (allant de 0 à 350 dollars) ; l’ensemble étant décalqué du modèle traditionnel de l’I/ITSEC. Ce qui incite à militer pour une simplification des choix et à une tarification raisonnable (100-150 dollars, peut-être ?).
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La NTSA a gagné son pari : le maintien et la transformation de certaines de ses activités majeures dont ce salon de portée mondiale. Même s’il est trop tôt pour mesurer finement le succès de vIITSEC 2020, cette édition aura, au minimum, apporté son lot d’informations.
Par ailleurs, le constat est sans appel : le virtuel s’est imposé en 2020… par la force des choses. Gardons-nous, cependant, d’y voir, comme souvent, l’alpha et l’oméga, en négligeant les inconvénients et en jetant aux orties les avantages indéniables des autres formules. Orientons-nous plutôt vers un véritable processus de retour d’expérience (RETEX).
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