Une campagne électorale altérée par la pandémie, une fin de mandat tumultueuse, d’indéniables dissensions font de l’investiture 2021 un moment très spécial.
L’inauguration du mandat présidentiel constitue un rendez-vous important pour les États-Unis d’Amérique. C’est au moment précis où il prête serment en jurant de défendre la Constitution et le pays que le vainqueur de la campagne présidentielle devient officiellement le Président.
Mais c’est aussi l’occasion pour celui-ci, au-delà des discours de campagne, de fixer le cap qu’il entend tenir pour les quatre années à venir. Alors, après celles plutôt spéciales de Barak Obama en 2009 et de Donald Trump en 2020 et compte tenu des circonstances qui l’entourent, qu’est-ce qui rend l’investiture de 2021 si particulière ?
Il est difficile, à ce stade, de parler de l’ère Trump et du monde d’après, d’autant que nombre de blessures sont profondes et antérieures à sa présidence. Il est donc également trop tôt pour évoquer une ère Biden. Cependant, il est tout à fait raisonnable d’envisager une sorte de période charnière, un sas indispensable à l’Amérique pour bien rebondir.
1. Il était une fois en Amérique
Qu’est-ce qui aura caractérisé la période 2016-2021 ? La première secousse provient bien de l’élection d’un personnage peu commun en 2016. Celui-ci, à la surprise de beaucoup, s’est maintenu sur la crête de la vague jusqu’à ce que, finalement, une pandémie surprise vienne faire vaciller la machine. Tout cela pour parvenir à l’élection tout aussi tumultueuse d’un candidat qui paraissait pourtant à beaucoup peu crédible il y a un an.
- Donald Trump est donc élu en 2016, l’emportant d’une courte tête sur son adversaire démocrate, Hillary Clinton. Il prête serment le 20 janvier 2017 et prononce un discours qui lui ressemble, dans l’exacte poursuite de ses discours de campagne. Son mandat va d’emblée se caractériser par la constitution d’une équipe majoritairement composée de néophytes, un discours agressif, une stratégie qui désarçonne aussi bien ses adversaires que ses partenaires (ce en quoi, il finit, à force, par devenir prévisible). Et, surtout, il va s’appuyer sur une communication qu’il entend maîtriser en tout point par le truchement des réseaux sociaux ; ce qui lui vaut, dès le début, d’être surnommé Tweeter-in-Chief.
- A l’aube de l’année 2020, le 5 février, il prononce le traditionnel discours de l’état de l’Union (cf. cet article). Celui-ci, à l’image des deux précédents, est marqué par l’autosatisfaction. Mais surtout, en cette année d’élection, il offre au Président l’occasion d’annoncer, au rythme des superlatifs, des résultats inégalés (ou prétendus tels). Difficile, à ce moment, de voir ce qui pourrait l’empêcher de remporter son deuxième mandat. Jusqu’à ce grain de sable qui a pour nom COVID-19. Et c’est alors l’attitude erratique de Donald Trump et son manque flagrant d’empathie qui vont conduire à un renversement de tendance au profit de son adversaire Joe Biden. Attitude qui continuera de créer la surprise lorsque le Président refusera d’admettre sa défaite. S’ensuivra une période particulièrement défavorable à la transition entre les équipes et qui culminera avec les émeutes du 6 janviers 2021 et la pénétration de certains dans le Capitole à Washington.
- C’est donc un vainqueur somme toute inattendu (cf. cet article) qui s’installe à la Maison-Blanche le 20 janvier. Mais, devant lui, la route semble bien marquée du sceau de l’incertitude. Certes, Joe Biden est un routier de la politique, à l’apogée d’une carrière marquée, notamment par ses huit années de vice-présidence aux côtés de Barack Obama. Mais il semble bien qu’il soit loin d’avoir toutes les cartes en main. D’autant que les États-Unis sont plus que jamais divisés sur des sujets dont certains voient leurs racines remonter aux origines du pays. Qui plus est, d’une certaine manière, il a plus été “fabriqué” par son adversaire – après tout défait de peu – qu’il n’a bâti sa propre victoire. Enfin, il se présente comme rassembleur, mais, compte tenu de la situation, il n’a guère d’alternative.
Ainsi, ce 20 janvier 2021, le rideau se lève-t-il sur une scène inédite qui se joue sur le Mall de Washington alors que tous se posent nombre de questions.
2. Tournant ou épingle à cheveux ?
La cérémonie d’investiture (inauguration en anglais) constitue un évènement important qui ponctue la vie des Américains tous les quatre ans. Cet instant a valeur de symbole. mais c’est également le moment où le nouveau chef de l’exécutif annonce ses intentions.
- La première édition remonte au 30 avril 1789. Elle se tint à New York, éphémère capitale des nouveaux États-Unis d’Amérique. George Washington en devint alors le premier président. La seconde se déroula le 4 mars 1793, cette fois à Philadelphie. Le choix de la date était alors imposé par des contingences d’ordre logistique. C’est en 1937 que la cérémonie fut avancée au 20 janvier. Quant à la passation de consignes qui prend place entre l’élection et la cérémonie d’investiture, elle fit l’objet d’une formalisation en 1963 (Presidential Transition Act) visant à la faciliter au maximum.
- D’une manière générale, l’évènement est voulu rassembleur. Si l’on prend les quarante dernières années, tous les discours, de Donald Reagan à Barack Obama, ont suivi cette tendance. L’exception aura bel et bien été celui de Donald Trump en 2017. De ce point de vue, le 20 janvier 2021 a constitué un retour en force à la normale accentué par la présence de dignitaires des deux grands partis politiques des États-Unis, adversaires mais dignes : les anciens présidents Clinton, Bush et Obama, l’ancien vice-président Quayle, le vice-président sortant Pence, des membres du Congrès des deux bords. Et c’est devant cet aréopage représentant l’exécutif, le législatif et le judiciaire ainsi qu’une assistance réduite (COVID-19 oblige) qu’ont prêté serment Kamal Harris, nouvelle vice-présidente, et Joseph Biden, nouveau président.
- Sans surprise, le discours de ce dernier a été dans le sens de l’unité. Certes, il ne s’agit pas de rêver à une union parfaite, mais bien de rechercher une meilleure union laquelle passe par la réconciliation.
- Mots clefs : unité, tolérance, humilité.
- Adversaires à combattre immédiatement :
- la pandémie – laquelle a causé morts (400 000), destruction d’emplois et fermeture d’entreprises ;
- l’extrémisme, notamment celui des suprémacistes blancs, et le racisme ;
- le mensonge.
- Actions à entreprendre, tous ensemble :
- se calmer, réparer, restaurer, soigner ;
- réapprendre à respecter et écouter l’autre ;
- et également rétablir les alliances à l’étranger et la crédibilité des États-Unis.
- Quelques phrases choc :
« This is democracy’s day » – « We must end this uncivil war that pits red against blue, rural versus urban, conservative versus liberal. » – « Every disagreement doesn’t have to be a cause for total war. »
3. Et maintenant ?
Maintenant est venu le temps de l’action immédiate pour le Président et la Vice-Présidente.
Les priorités sont clairement citées et déclinées sur le nouveau site de la Maison-Blanche :
- la lutte contre la COVID-19
- le climat
- l’équité raciale
- l’économie
- le coût des soins
- les règles encadrant l’immigration
- la restauration de l’image des États-Unis
Le tout, bien entendu, à l’aune de la situation actuelle. Ce n’est donc pas un retour vers ce qu’était exactement le pays en 2017. Cependant, que les adeptes se rassurent, certaines choses ne seront pas remises en question : ainsi, Joe Biden et Kamala Harris ont inauguré leur mandat en rédigeant chacun un tweet. Reste à savoir à quelle fréquence ils recourront à ce procédé.
Les premières mesures prises peuvent être consultées ici. Et il semble bien que le Congrès souhaite également, au moins sur certains points, aller très vite comme l’indique la confirmation par le Sénat, dès le 22, du nouveau ministre de la défense (ici).
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