Les serious games ou jeux sérieux sont de plus en plus présents, qu’ils soient numériques ou diffusés sous forme de jeux de plateau. Alors, vague de fond ou effet de mode ? Jeux effectivement sérieux ? Et pour quoi faire ?
Le 27 janvier 2020, le Serious Games Network France tenait son deuxième forum en France sur les serious games, à l’École Militaire à Paris (le premier y était déjà organisé le 3 décembre 2018).
La juxtaposition des deux mots serious et games – ce qui aboutit à « jeux sérieux » en français – interpelle inévitablement : est-ce bien… sérieux ?
La réponse est définitivement oui. A certaines conditions, cependant : que ledit jeu sérieux réponde assurément à un besoin, pour commencer ; ou encore qu’il bénéficie d’un accompagnement pédagogique…
Reste donc à examiner quelques points : un (tout petit) peu d’histoire d’abord ; le champ d’application des serious games, ensuite ; quelques questions « fondamentales » (pour terminer ?).
1. Très courte histoire des serious games
Les jeux sérieux ne datent pas d’hier. Sans remonter à la nuit des temps (avant Jésus Christ, par exemple) , ils descendent en ligne directe de jeux de guerre du XVII° siècle et, plus spécifiquement, du Kriegsspiel du baron von Reisswitz (début du XIX° siècle). Ultérieurement, l’Allemagne, l’Angleterre et la Russie s’en emparent, suivies des États-Unis d’Amérique. L’ère des wargames s’ouvre alors, mélange de caisses à sable chères aux militaires et de jeux de plateau avec pions ou figurines.
Les jeux de guerres poursuivent leur percée au XX° siècle sous deux formes principales. Les études tactiques et stratégiques d’une part. Les jeux à caractère historique d’autre part. La première est, dans certains cas, associée à des simulations numériques performantes : le wargame permet d’obtenir une vision large, la simulation d’approfondir et de descendre dans les détails. La seconde voit l’émergence de jeux permettant tantôt de recréer les batailles du passé, tantôt de mener des campagnes purement imaginaires.
Plus récemment, les progrès de l’informatique donnent un nouveau souffle à l’aventure. Les jeux sur PC le disputent désormais aux jeux de plateau. Depuis le début des années 2000, tout salon d’envergure consacre un créneau – quand ce n’est pas un podium – aux serious games à l’instar, par exemple, de l’I/ITSEC. Qui plus est, ces derniers vont désormais bien au-delà des seules contingences de la stratégie militaire. Désormais, l’engouement est tel qu’il semble confiner, parfois, à l’effet de mode…
2. Un serious game, pour quoi faire ?
En fait, un peu tout… jusqu’à un certain point.
Au commencement était la stratégie qui, par essence, se rapporte à la chose militaire. Mais, même si ce mot (stratégie) n’est jamais bien loin, les jeux sérieux embrassent un large horizon. L’éducation, la formation, l’entraînement, la gestion des crises viennent naturellement. L’information est tout aussi bénéficiaire, en interne comme vis-à-vis du client. La pratique du processus décisionnel, dans la forme comme dans le fond, constitue un autre exemple. Tout comme les études prospectives.
Ainsi, les jeux sérieux offrent-ils la possibilité de :
« travailler un sujet, mettre en situation les différents acteurs et prendre en compte un environnement complexe » (Patrick Ruestchmann, le 27/01/2020).
Ils permettent d’apprendre, d’entrainer et de penser individuellement mais aussi et préférablement collectivement. Flexibles et accessibles, ils peuvent également se décliner à différents niveaux, qu’il s’agisse de l’âge, du niveau de responsabilité, de compétence ou de connaissance du sujet.
Encore faut-il que ces jeux cochent certaines cases.
- En tout premier lieu, ils doivent répondre à un besoin précis (autant pour l’effet de mode !).
- Ensuite, pour en retirer véritablement un bénéfice,
« les joueurs seront placés en situation de décision ; le jeu lui-même se déroulera en temps contraint ; des aléas seront introduits ; l’adversaire sera tout aussi intelligent que les autres participants » (colonel de Peyret, le 27/01/2020).
- Enfin, les joueurs bénéficieront d’un accompagnement pédagogique pendant le jeu et d’une véritable analyse à l’issue.
3. Questions permanentes pour les serious games
Alors, sérieux mais en quoi ? Quelle que soit la réponse, le débat reste ouvert mais l’intérêt réel.
Jeux sérieux : sur plateaux ou sur PC ?
Certes, le numérique est plus attractif. L’association avec l’intelligence artificielle et la réalité augmentée apporte de nouvelles possibilités. En outre, il permet de réunir un grand nombre de joueurs répartis un peu partout. De son côté, le jeu de plateau, rassemblant plusieurs personnes en un même lieu, procure les nombreux avantages de la proximité ; sans parler de l’intérêt de prendre du recul.
Jeux sérieux versus simulation numérique ?
Clairement, ces deux-là ne sont ni du même pied en termes de capacités, ni prévus poursuivre les mêmes objectifs ; sans parler de la complexité, des délais de développement ou encore du coût. En revanche, ils peuvent être parfaitement complémentaires, dans un ordre (le serious game en phase de préparation), dans l’autre (le jeu sérieux permettant de poursuivre la réflexion), en alternance ou simultanément.
Jeux sérieux : sérieux ou pas ?
Et bien, cela dépend de l’angle sous lequel on considère cette question. Si ledit jeu, dans sa conception et dans sa mise en œuvre, s’inscrit dans une logique de ludopédagogie, alors il s’agit bien d’un jeu sérieux. Mais si on l’examine sous l’angle culturel, la question fait encore débat… en France. En revanche, si on adopte la vision anglo-saxonne, alors il s’agit bien d’un serious game.
Conclusion
Le serious game ou jeu sérieux est un outil de plus dans l’arsenal pédagogique, pourvu qu’on en comprenne et accepte les limites sans chercher à l’opposer à d’autres moyens ; et qu’on se souvienne que ce n’est… qu’un outil. Et pourvu, également, que l’on dépasse le clivage « jeu » / « sérieux ».
Certains envisagent parfois de changer le nom (j’y ai moi-même pensé) mais cela ne ferait que compliquer davantage le sujet, sans parler du problème linguistique à l’international.
Et au-delà…
Pour aller un peu plus loin, je vous propose d’assister au colloque ‘Game Evolution‘ les 14 et 15 mai 2020 à Paris.
D’ici là, je vous invite à vous rappeler qu’il ne faut en aucun cas confondre faire les choses sérieusement et se prendre au sérieux.