Le management à distance est souvent évoqué. Ou plutôt invoqué. Attention, néanmoins : ce n’est pas sans risques… comme le démontre l’’affaire Carlos Ghosn.
Il existe de nombreuses raisons pour travailler et manager à distance. La première qui vient à l’esprit provient de l’éloignement géographique. S’y rajoutent plusieurs objectifs : réduire les frais de déplacement, diminuer la réunionite aigüe de manière significative, participer à la lutte contre le réchauffement climatique, etc.
Or, les moyens modernes de communication et l’ère digitale nous fournissent les outils nécessaires. Ceux-ci, à la portée de tous, nous offrent l’opportunité de mettre aisément sur pied des entretiens, des audio ou visioconférences ; voire d’instaurer des réunions dans des salles de conférence virtuelles. Simultanément, smartphones et réseaux nous permettent d’échanger « en temps réel », de manière fluide.
Savoir si cela constitue la panacée est, en soi, une vaste question. A l’évidence, dans le monde dans lequel nous vivons, les apports sont précieux, voire indispensables. Mais il n’est pas inutile d’en considérer le revers de la médaille.
1. Management à distance ou management à distances ?
Comme indiqué plus haut, notre première pensée correspond généralement à la distance qui sépare deux points. Il s’agit bien, ici, de distance géographique. Celle-ci peut être courte, comme celle séparant deux locaux situés dans un même bâtiment, à très courte… Elle peut, bien entendu, être beaucoup plus grande, au sein d’une même ville ou d’un même pays, à très grande lorsque les différents interlocuteurs se trouvent dans des pays ou sur des continents différents.
Mais il existe d’autres types de distances qu’il ne faut surtout pas perdre de vue.
Considérons, ainsi, la distance culturelle sous toutes ses formes. Elle existe entre collègues qui doivent cohabiter ou collaborer ; et avec les prospects. Pour un manager ou un dirigeant il s’agit impérativement de la réduire, si possible de la combler. Cela passe par l’apprentissage et la compréhension. Cela demande volonté, effort et temps.
Considérons également la distance temporelle. Tout comme il existe une différence entre le calendrier politique et celui des médias, il existe une différence entre les agendas des différents niveaux : décisionnel, d’exécution, etc. Ceux-ci peuvent également être confrontés à la distance géographique déjà évoquée en raison, par exemple, du décalage horaire. Par ailleurs, la distance temporelle est inéluctablement accentuée par la tyrannie de l’immédiateté laquelle est générée par plusieurs facteurs : impératif concurrentiel, réseaux sociaux, addiction au temps réel…
Ainsi, le manager doit tenir compte d’un grand nombre de distances, tant physiques qu’humaines.
2. Management à distances : attention aux effets pervers !
Le premier tient en un mot : incompréhension. Chacun s’exprime selon sa propre situation, sa vision des choses, ses priorités, ses problèmes. En oubliant que son interlocuteur au mieux n’est pas au courant, au pire est complètement absorbé par un tout autre problème. Cela est source, inévitablement, de malentendus qui peuvent aboutir à des erreurs.
Un deuxième est la résultante du premier aggravé par le facteur temps. Analyser et comprendre une situation nécessite un minimum de délais. Or, la capacité à communiquer en temps réel est tout aussi bien source d’impatience chez l’émetteur que de « démarrage au quart de tour » pour le récepteur.
Un troisième, encore, provient de la difficulté à appréhender la situation à distance. Ceci est accentué, par exemple, par le recours à des tableaux de bord qui, certes, procurent une vision d’ensemble de la situation mais qui manquent cruellement d’acuité lorsqu’il est question de « sentir le terrain ».
Les moyens modernes de communication n’abolissent pas les distances. Au mieux, ils les réduisent.
3. Et Carlos Ghosn dans tout cela ?
Il n’est pas question, ici, de se prononcer sur « l’affaire Ghosn » : ceci est le rôle de la justice. En revanche, ce qui s’est passé au sein du groupe Renault-Nissan vient illustrer ce qui précède. Que constate-t-on?
- Une distance géographique. Aggravée par le fait que la dernière année Carlos Ghosn s’est moins rendu au Japon que par le passé.
- Une distance culturelle. Laquelle n’a probablement pas permis d’appréhender le ressenti japonais et la stratégie développée par Nissan.
- Une distance temporelle. Qui s’est traduite par une sous-estimation de la situation voire par l’absence de prise en compte des signaux.
Au bilan, un président a priori tout puissant – et très sûr de lui – s’est fait surprendre en rase campagne et n’a pas été en mesure de réagir pour avoir sous-estimé ou négligé de nombreux facteurs en terre lointaine.
Conclusion
Diriger à distance n’est pas simple. Certes, de nombreux moyens viennent faciliter l’exercice. Mais ils ne remplaceront jamais le contact direct qui, lui, permet de sentir et de comprendre. Comme en toute chose, il s’agit de savoir où placer le curseur. Il est, à l’évidence, très difficile de n’envisager que le tout contact. A contrario, il est suicidaire de ne considérer que le tout à distance.