Le contexte est mouvant. La simulation évolue, renforcée par les nouvelles technologies. L’IITSEC s’adapte.
J’avoue : il est difficile de parler d’un évènement quand vous n’y avez pas assisté et que vous n’avez pas pu échanger. Ce qui est mon cas pour ce rendez-vous annuel de la simulation qui se tenait du 2 au 5 décembre 2019. Cependant, les organisateurs veillent à informer avant et pendant, in situ comme en ligne. Il y avait donc suffisamment de matière pour en tirer quelques constats et réflexions.
Pour les épisodes précédents et les généralités sur l’IITSEC (Interservice/ Industry Training, Simulation and Education Conference), je vous renvoie à quelques articles sur le blog d’ODC. Pour l’édition 2019, vous êtes sur la bonne page. J’ai puisé l’essentiel de mon inspiration dans les quatre « Show Daily » (téléchargeables sur la page d’accueil de la conférence). Certes, il y a beaucoup d’éléments de communication et de marketing. Mais ces quotidiens rassemblent également des sources primaires et secondaires fort instructives.
En substance, la simulation bouge de manière significative. Mon premier est un contexte qui est loin d’être figé. Mon second bénéficie d’avancées technologiques de premier ordre. Mon tout donne un salon qui s’adapte au changement.
Remarque : certes, l’IITSEC s’adresse historiquement aux militaires et au secteur de la Défense. Cependant, tout comme la simulation, l’intérêt est réel pour les autres. Pour la sécurité civile par exemple, ou encore en matière de formation. Quand ce n’est pas pour le secteur médical en plein essor comme nous le verrons dans ces lignes.
1. Un besoin en constante évolution
Qu’il s’agisse de répondre aux questions du moment – certains diront que c’est déjà trop tard – ou d’anticiper les problèmes à venir, le besoin est évolutif. C’est particulièrement le cas par les temps qui courent.
1.1. Un contexte à géométrie variable
The Army is looking at balancing readiness, because… the character of war is always changing, général de brigade Stephen Michael, US Army Combined Arms Center
Dans la logique des études stratégiques nationales, les armées réorientent leur effort vers la préparation à des engagements contre des États. Donc contre des armées modernes ou en passe de le devenir. Lesquelles utiliseront les mêmes technologies.
Il est donc indispensable de pouvoir se former et s’entraîner n’importe où, à n’importe quel moment. Ceci implique un usage accru de la réalité virtuelle (VR), de la réalité augmentée (AR) et de la simulation distribuée pour réunir et transporter virtuellement les entraînés là où ils doivent se trouver.
Simultanément, il reste impératif de poursuivre la lutte contre les mouvements terroristes lesquels, eux aussi, utilisent les nouvelles technologies. Impératif qui s’est traduit par la présence significative de représentants des forces spéciales américaines à l’IITSEC 2019. Et de leur intérêt marqué pour la VR, l’AR, l’intelligence artificielle (IA) et la 3D.
Par ailleurs, l’espace de bataille s’élargit. Il s’agit donc de modéliser au mieux la dimension de l’espace, les guerres cybernétiques et électroniques ou, de manière plus terre à terre, les engagements dans les mégapoles.
1.2. Un milieu de plus en plus complexe
Training must be focused on winning in combat in the most challenging conditions and operating environments, général David Berger, commandant le Corps des marines (USMC)
La complexité croissante non seulement de l’espace de bataille mais aussi de la guerre moderne impose une adaptation permanente ainsi que l’amélioration et l’accroissement de l’entraînement. Donc des moyens de simulation.
Ainsi existe-t-il un impérieux besoin à modéliser le plus précisément possible les nouveaux systèmes d’arme – eux-mêmes de plus en plus sophistiqués – en passe d’être livrés ou en devenir. En effet, ceux-ci exigent de plus en plus de concentration et de répétitions quand ce n’est pas des talents d’homme-orchestre.
La maîtrise de ces savoir-faire n’est jamais acquise. Comme pour une équipe de football ou pour une langue étrangère, il est impératif de pratiquer et pratiquer encore sous peine de devenir rapidement obsolète. Et dangereux dans certains cas.
1.3. Un grand pas vers la coopération ?
This collective intelligence is going help us tap into other markets to gain additional ideas and additional innovation, capitaine de vaisseau Tim Hill, US Navy, NAWCTSD (Naval Air Warfare Center Training Systems Division)
Après des années d’autarcie et d’individualisme, les acteurs s’organisent.
Certes, le processus d’acquisition continue de faire figure d’épouvantail. De l’ordre de deux ans aux États-Unis pour un système de simulation, il est jugé par tous encore trop long. L’objectif est de diviser cette durée par deux.
Ceci implique une plus grande coopération laquelle doit néanmoins affronter de multiples exigences. Celle-ci est à l’œuvre et revêt plusieurs visages.
Au plan technique, il s’agit de :
- remplacer les systèmes propriétaires par des architecture communes ouvertes ;
- accroitre l’interconnection entre les systèmes. Donc adopter de plus en plus des standards communs ;
- arriver à des outils aussi puissants et aussi simples de mise en œuvre que les smartphones ;
Le tout sans omettre les questions de sécurité.
Du point de vue de l’utilisateur, l’objectif est :
- d’obtenir des systèmes permettant de s’entraîner et de se former du mieux possible… et au moindre coût ;
- de pouvoir les utiliser là où cela est jugé nécessaire (point of need). Ce qui milite pour des systèmes aisément transportables et reconfigurables ;
- de pouvoir s’entraîner de la manière la plus proche possible de ce qui est imaginé sur le champ de bataille et dans un environnement numérisé. Ce qui implique un plus grand réalisme.
Entre les différentes communautés :
- à l’intérieur des états-majors, en optimisant la circulation de l’information entre les bureaux en charge de l’opérationnel et ceux responsables de la simulation avec une prise en compte commune des besoins et de l’existant. Ce qui peut permettre la mise au point de solutions duales ;
- à l’intérieur de chaque armée, en mettant en place une véritable coopération entre les centres, entre les laboratoire spécialisés. Et en faisant interagir l’utilisateur final avec les équipes de programmes ;
- entre les militaires et les industriels. En sus de veiller à la satisfaction du besoin, chacun est susceptible d’inspirer l’autre au travers le partage des problèmes ou via une idée lumineuse apparue lors du développement d’un produit ;
- entre les militaires, les industriels et les universités. Amorcée lors des années 90, cette coopération orientée simulation s’intensifie de manière significative ;
- entre les industriels, les militaires et les politiques pour que ces derniers aient une meilleures compréhension des dossiers qui leurs sont présentés et prennent les décisions en toute connaissance de cause. Cette idée est portée par le Congressional Modeling and Simulation Caucus instauré lors de la décennie précédente.
So, I think generally we see more execution and more actual programs being developed. There are funds available. There is leadership support. And now we just have to actually expand on our ability to produce real, relevant training, contre-amiral à la retraite Robb Urges, US Navy, président de la NTSA (National Training Simulation & Association) co-organisatrice de l’I/ITSEC
2. La simulation en pleine évolution
Remarque : morceaux choisis, liste loin d’être exhaustive.
2.1. Quand la technique change
Le besoin évolue. Ainsi en va-t-il de la technique. Cela concerne aussi bien les évolutions de l’existant que l’apport des nouvelles technologies. Dans les deux cas, on notera un besoin croissant de réalisme.
2.1.1. L’existant se modernise
- Retour au combat symétrique oblige, le recours à la simulation instrumentée revient au cœur des préoccupations. A titre d’exemple, l’USMC prévoit une enveloppe de 300 millions de dollars pour remplacer le système actuel par le Force on Force Training System (FoFTS) Next.
- La simulation des tirs indirects continue de progresser. Alors que le laser est, ici, inopérant, une réponse pourrait bien être l’adjonction de programmes dans les téléphones. Cette interaction permettrait ainsi d’obtenir les résultats en temps réel.
- L’utilisation desdits téléphones offre d’autres opportunités comme, par exemple, dans le domaine médical : lorsque l’infirmier s’approche du blessé, il obtient des informations sur la nature de la blessure, etc. (le médical est détaillé dans le chapitre 2.3. du présent article).
- La demande et la réponse s’intensifient pour remplacer les systèmes mis en œuvre dans les salles par des systèmes légers et transportables.
- Les avancées sur les bases de données terrain battent leur plein avec, notamment, la quête pour la réalisation et la gestion de terrains de grandes dimensions.
- La simplicité offre encore des perspectives : il y a toujours de la place pour des simulateurs « bon marché » répondant à des objectifs pédagogiques limités.
2.1.2. Les nouvelles technologies s’invitent
- Les nouveaux dispositifs centrés sur la réalité virtuelle fleurissent.
- AI et VR viennent renforcer significativement les systèmes portables susmentionnés.
- La réalité augmentée, étudiée depuis deux décennies, se concrétise peu à peu. Cependant, il lui faut encore murir, la VR constituant une étape.
- L’immersion monte en puissance mais, comme l’AR, il lui faut encore murir.
- En matière d’immersion, une nouvelle forme de vidéo holographique fait son apparition où il est possible d’évoluer « à l’intérieur » de la séquence filmée.
- Appuyée par les nouvelles technologies, la simulation distribuée poursuit sa montée en puissance. Son potentiel est avéré, qu’il s’agisse de s’entraîner collectivement, de préparer une mission ou encore de tester des solutions qu’il est impossible d’étudier en réel.
- Les caisses à sable virtuelles continuent d’évoluer. Reste à apprécier l’apport concret de la distribution et, surtout, de l’immersion.
- La robotisation progresse, même s’il y a beaucoup de chemin à parcourir : il semblerait, par exemple, qu’il n’existe à ce jour qu’un seul modèle de robot cible autonome (selon la société australienne Marathon Targets, cf. le ShowDaily 3, page 29).
Dans un autre créneau, signalons l’arrivée de munitions électroniques à blanc voulues environmentally friendly (cf. le ShowDaily 4, page 21).
2.1.3. Un réalisme de plus en plus nécessaire…
Et réalisable.
- L’apport des technologies du jeu vidéo connait une progression significative. Après une entrée remarquée lors de l’IITSEC 2018, elles confirment en 2019. La convergence avec le monde de la simulation ouvre de larges perspectives.
- Les travaux sur l’immersion se poursuivent. La plupart restent encore relatifs avec l’utilisation d’écrans. Le son et le tactile viennent alors renforcer les sensations.
- Tout ou partie de ces sensations se retrouvent,
- dans des simulateurs de type pilotage d’aéronef, de conduite, de manœuvre d’embarcations ou de véhicules rapides, avec adjonction de bases de données (terrain, effets marins) interactives (effets dynamiques) et réalistes ;
- dans des simulateurs de tir ou d’entraînement collectif.
- Le réalisme obtenu permet d’évaluer beaucoup plus finement la performance, tant physique que psychologique, d’un individu placé dans des conditions très proches du réel.
- La capacité de rendre le retour tactile (haptique) et les travaux sur la mémoire musculaire laissent entrevoir des possibilités intéressantes en matière d’intensification des scénarios et des savoir-faire étudiés.
2.2. L’emploi de la simulation entre constance et changement
2.2.1. L’entraînement mais pas que
- La simulation, de par l’apport des évolutions technologiques, est à même de jouer un rôle beaucoup plus important en matière d’analyse, qu’il s’agisse de recherche opérationnelle pure ou simplement d’approfondir les résultats d’une activité et de mieux cerner les performances des acteurs.
- Il est désormais tout à fait envisageable de combiner outil d’entraînement et outil d’analyse. Les avantages pour l’acquisition, la mise en œuvre et le soutien d’un seul système sont indéniables. Qui plus est, les activités d’entraînement ne peuvent que bénéficier de la puissance de l’analyse (cf. « Janus analyse » qui supplanta jadis le Janus entraînement dans les centres d’entraînement).
- Ainsi, la capacité d’analyser en temps réel ou quasi réel et celle à stocker de grands volumes de données augmenteront significativement la justesse du contrôle et, partant, de l’évaluation.
2.2.2. Vers un renforcement pédagogique
- La capacité mentionnée ci-dessus offre des perspectives intéressantes pour le suivi des élèves et des entraînés. Voire pour des séquences d’auto-formation et d’auto-entraînement.
- L’obtention des données pertinentes en temps réel renforcera la capacité d’effectuer des analyses à chaud quasi instantanément, pendant l’activité.
- L’analyse de l’ensemble des activités préalables à une action majeure et de leur débriefing constituera une base de données réutilisable indispensable. Autant d’enseignements profitables pour le personnel concerné que pour celui susceptible d’être confronté à des évènements similaires.
- L’utilisation accrue des systèmes portables et du cloud (sécurisés) démultipliera la quantité de données disponibles. Associée à l’AI, elle permettra de former et d’entraîner collectivement un plus grand nombre de participants à partir d’un plus grand nombre d’endroits et d’analyser de manière pertinente la totalité d’entre eux, collectivement et individuellement.
2.3. La poussée de fièvre du médical
La santé est très présente à l’I/TSEC depuis plusieurs années. L’accent a d’abord été mis sur le réalisme visuel, pour l’édification des frères d’armes et des infirmiers. La simulation numérique s’est peu à peu invitée et les caractéristiques de la conférence 2019 s’appliquent aussi bien au médical.
- Les travaux sur l’haptique et sur la mémoire musculaire, évoqués au paragraphe 2.1.3., sont en plein essor. La sensation est obtenue et mesurée en touchant des objets physiques ou virtuels.
- Le réalisme est poussé jusqu’au son avec les gémissements du blessé virtuel. Les réactions de ce dernier sont fonction des actes commis (en fixant un garrot, par exemple).
- Des costumes et autres armures pour l’entraînement au corps à corps sont instrumentés de manière à permettre la mesure et la visualisation des dégâts virtuels subis. Les capteurs sont reliés à une base de données médicales qui détermine précisément, en temps réel, les blessures potentielles de l’agressé.
- Modélisation et intelligence artificielle sont indispensables pour réduire drastiquement les erreurs médicales. A titre d’exemple, aux États-Unis, dans les années 90, 120 000 personnes décédaient annuellement suite à une erreur de diagnostic ou commise lors d’un acte chirurgical (étude de 1996). Les chiffres actualisés en 2016 indiquent 251 000 morts pour les mêmes causes (cf. le ShowDaily 4, page 12). Il y a donc urgence…
- Les simulateurs permettent d’entraîner, individuellement et collectivement, des équipes médicales sur l’ensemble du processus, depuis le lieu de la blessure jusqu’à l’hôpital. L’ensemble des acteurs, sauveteurs et blessés, ainsi que l’instructeur, sont dotés de tablettes qui fournissent informations et résultats des décisions prises et des actes ; le personnel soignant interagit avec du matériel médical virtuel.
- Le traitement des brûlures, notamment tout ce qui touche à l’escarrotomie, fait l’objet de travaux particuliers. Ainsi, US Army Futures Command s’est doté d’un démonstrateur qui simule les effets visuels et la sensation des opérations sur les tissus brulés.
Pour le médical comme pour le reste, la question consiste à trouver le juste milieux entre le réalisme, le véritable besoin et le coût.
3. L’IITSEC : un salon qui bouge
La simulation évolue. Son usage évolue. Partant, l’IITSEC évolue. Et ce année après année. Certes, il y a des constantes et l’organisation générale change peu. Mais de nouveaux modules apparaissent régulièrement et s’adaptent à leur tour.
Outre, la couverture écrite – les ShowDaily quotidiens – qui s’est intensifiée au fil des années, le salon bénéficie, depuis quelques années, d’une véritable couverture vidéo : https://www.youtube.com/user/NTSAToday .
Les relations avec les universités et les étudiants sont également soigneusement entretenues.
- Les liens entre la NTSA et les universités se renforcent. Ces dernières participent chaque année un peu plus au salon, au travers des conférences ou de programmes de certification pour les étudiants (ex. le Modeling and Simulation Certification Program for America’s high School and Technical School Students).
- Des étudiants sélectionnés à partir du programme STEM (Science, Technology, Engineering & Maths) sont invités à présenter leurs travaux en tant que premiers participants.
- Un autre pavillon regroupe des talents dument sélectionnés : le Futur Leaders Pavillon Showcases Student Talent.
Des modules sont consacrés à l’innovation : l’Innovation Showcase, le Launch Pad (concours lors du salon à partir d’une présélection).
Depuis le début de la décennie précédente, les Serious Games confortent leur intérêt et se manifestent à l’occasion d’un concours existant depuis 2006 (https://www.iitsec.org/education/serious-games ). Les finalistes de l’IITSEC 2019 sont venus confirmer cet attrait.
L’édition 2019 du Black Swan Event traitait de la double menace des deep fake videos accréditées par quelqu’un, en apparence irréprochable, de l’intérieur (credible insider threat). Menace à prendre très au sérieux compte tenu de l’usage abondant qui est fait des vidéos.
Enfin, une nouvelle attraction a fait son apparition en 2019 : l’Iron Dev competition. Des équipes de développeurs répondent à un challenge (intéressant la défense américaine) pendant les trois premiers jours du salon pour s’affronter directement le dernier jour dans un véritable « Top Chef » à la sauce M&S.
Et au-delà…
Le thème de l’I/ITSEC 2020 (30/11 au 4/12) a été annoncé : « The Future is Now » de l’Army qui sera co-organisatrice.
D’ici là, d’autre salons peuvent retenir l’attention.
- L’IT2EC (International Training Technology Exhibition & Conference) qui succède à l’ITEC, version européenne de l’IITSEC. Elle se veut plus productive que son prédécesseur en mettant davantage l’accent sur les avancées technologiques (d’où le second T). L’IT2EC 2020 se tiendra à Londres du 18 au 30 avril (programme provisoire : https://www.itec.co.uk/2020-conference-agenda ).
- Le MODSIM World 2020 se déroulera à Norfolk (en Virginie) du 5 au 7 mai sur le thème Predicting and Solving the Problems of Tomorrow, Today.
- Le SOFIC 2020 ou Special Operations Forces Industry Conference se tiendra à Tampa (en Floride) du 11 au 14 mai. Pour les forces spéciales, SOFIC et IITSEC se complètent bien.
- Eurosatory 2000 se déroulera en France du 8 au 12 juin. Comme toujours, il y aura une forte participation du monde de la simulation.
The growing complexity of both the global landscape and modern warfare requires that we continue to adapt, improve and increase our training and simulation capability, général Stephen “Seve” Wilson, vice chef d’état-major de l’US Air Force