Les séries TV américaines parlent des États-Unis, bien sûr. Mais il arrive que ce qu’elles dépeignent s’applique à d’autres pays. Dont la France.
Les séries TV américaines ont toujours eu le vent en poupe en France. Elles contribuent à amener un peu du « rêve américain » de ce côté de l’océan, en quelque sorte. En les regardant de plus près, elles nous en disent beaucoup sur les États-Unis, quel que soit le thème abordé. Elles nous amènent parfois à réfléchir à certains sujets. Il arrive également qu’elles nous invitent à nous interroger sur notre propre pays.
Le canal historique
Les séries de télévision américaines occupent notre petit écran depuis les années 60. Depuis lors, elles se sont partagés la vedette avec les feuilletons français, un petit nombre de séries britanniques et un nombre encore plus réduit de séries d’autres pays (Allemagne, Italie…). Elles ont même, parfois, démontré une suprématie sans partage. Qui plus est, certaines, telle Dallas, sont aujourd’hui plus connues en France qu’aux États-Unis.
Les thèmes dominants dépendaient des époques et évoluaient en fonction de la sensibilité et de la perception du public américain ainsi que de l’actualité du pays : western, policier, espionnage, guerre, science-fiction, aventurier solitaire – ou travaillant en équipe – soap opera… Or, pendant une trentaine d’années, ces séries ont eu un point commun : elles étaient toutes conçues de la même manière. Cela ne semblait peut-être pas toujours évident à l’époque puisqu’à la fréquence de diffusion était réduite. Aujourd’hui, il suffit de regarder plusieurs épisodes d’affilée pour s’en persuader. Mais soyons honnêtes, les téléspectateurs d’antan étaient familiers de la méthode bien huilée de l’inspecteur Columbo ou du « Formidable, Barney ! » de Mission impossible. Je note, en passant, que cette façon de procéder semble s’être introduite dans bon nombre des séries françaises actuelles.
Mais, au-delà du simple plaisir de les regarder, ces séries dont beaucoup sont devenues cultes présentent un autre intérêt : celui de dévoiler une partie du vrai visage de l’Amérique.
- Ainsi, prenez toutes les séries d’action. Relevez les transgressions commises par les personnages principaux et vous aurez une bonne idée des fantasmes de l’Américain moyen. A titre d’exemple, vous trouverez systématiquement dans les séries policières la séquence où une voiture de patrouille se met en chasse… en débutant la poursuite par un demi-tour. Les amateurs de calculs de probabilité apprécieront.
- De la même manière, faites l’effort de gommer le premier plan. Ne vous concentrez plus sur les personnages principaux, leurs belles voitures, leurs appartements ou maisons impeccables – à l’évidence, il vaut mieux être inspecteur de police aux États-Unis – et faites la mise au point sur l’arrière-plan : la rue, l’habitat, les passants, etc. Vous obtiendrez alors une image bien plus réaliste de l’Amérique. Et, en basculant d’une série des années 70 à une des années 90, vous noterez que le pays n’a pas tellement changé.
Des séries TV américaines d’un nouveau genre
En 1997, la chaine américaine HBO diffuse le premier épisode d’une série d’un nouveau genre : Oz. Le succès est immédiat et durera jusqu’à la fin, en 2003. Il s’agit d’une succession d’épisodes de près d’une heure qui étudie de manière très réaliste avec une précision quasi ethnographique l’univers carcéral américain. Vont alors suivre, à côté de séries de facture traditionnelle, des productions très variées mais de plus en plus réalistes.
- Plusieurs des thèmes classiques sont maintenus : histoires policières ou séries sur l’univers militaire relancées par les engagements américains en Afghanistan et en Irak consécutifs au 11 septembre 2001 (Generation Kill). Mais la manière de traiter le sujet évolue. A la croisée des deux mondes, on trouve une série comme JAG. Celle-ci, qui débute en 1995 et s’achève en 2005, verra son contenu influencé par le 9/11. La recette est simple : chaque épisode, ou peu s’en faut, constitue, au-delà de l’imaginaire, un véritable cas concret réaliste et mérite que chacun s’interroge sur ce qu’il ferait s’il était lui-même confronté au problème posé.
- Mais de nouveaux thèmes apparaissent.
- Ainsi, la guerre contre le terrorisme est au cœur de 24 heures chrono (2001-2014). Parallèlement les Américains se posent de nombreuses questions sur leurs institutions. Ceci fait le lit de séries d’espionnage (Homeland) ou de politique fiction (The West Wing) dans lesquelles les autorités fédérales ont rarement le beau rôle.
- A la fin des années 90, de nombreuses archives s’ouvrent. Les historiens s’en emparent et reviennent, entre autres, sur l’histoire des États-Unis ce qui ouvre la porte à des séries historiques (Turn, John Adams, Band of Brothers). Parallèlement, les séries TV américaines exploitent le succès de péplums comme Gladiator ou Troie et les progrès des effets spéciaux avec des productions telles Rome ou Spartacus ou s’interrogent sur la lutte pour le pouvoir et la différence entre stratégie et tactique avec Game of Thrones.
- Enfin, si les scénarios traitant de l’actualité ou de l’Histoire ont le vent en poupe, il faut bien admettre que rien ne vient détrôner ceux qui se rapportent aux démons individuels et collectifs. Il y a, certes, les séries qui narrent les histoires de vampires et autres morts-vivants. Il y a surtout celles qui abordent les grandes peurs, celles qui relèvent du possible surtout quand se combinent science et société. Cela va de Person of Interest, sorte de 1984 de l’univers post 9/11 au monde où la machine semble devoir s’imposer de WestWorld. Toutes deux se penchent sur un sujet ô combien sensible : l’Intelligence Artificielle (IA).
Quand les séries TV américaines interpellent la France
Les dernières citées ne peuvent qu’intéresser la France : les questionnements sur l’IA vont bon train et la « révolution numérique » poursuit sa route à grand pas. Les séries TV américaines consacrées à la lutte contre le terrorisme et aux engagements militaires ne peuvent avoir en France qu’une portée aujourd’hui accrue. C’est la conséquence des attentats récents, lesquels viennent moduler la vision que les Français pouvaient avoir de l’Amérique du 11 Septembre. C’est également celle de l’engagement significatif des forces françaises. Mais il y a plus : les séries qui parlent de notre quotidien.
Entre 2002 et 2008, HBO diffuse une série qui n’est pas sans rappeler Oz dont elle reprend le caractère ethnographique : The Wire (« Sur écoute »). Cette série se déroule en un seul lieu : Baltimore. Son fil rouge est la lutte contre la drogue qui s’appuie, notamment, sur les écoutes téléphoniques. Ceci donne au spectateur une bonne compréhension du véritable jeu de chat et de la souris auquel se livrent les gendarmes et les voleurs. Ce combat est rendu de plus en plus complexe par la réactivité et l’adaptabilité des trafiquants ainsi que par les évolutions de la technologie, analogique et, bien sûr, numérique. Tout cela est, d’ailleurs, parfaitement transposable aux questions de sécurité cybernétique. Mais « Sur écoute » est bien plus que cela. Découpée en cinq saisons thématiques, elle traite, successivement, de la lutte entre policiers et gangs de la drogue ; du port, de la contrebande et des syndicats ; des luttes politiques ; du système éducatif ; des médias. Le tout en adoptant l’ensemble des points de vue.
On peut, bien sûr, se contenter de suivre le volet policier et le parcours des principaux protagonistes. Mais regarder cette série dans sa globalité en procure une toute autre approche, une vision véritablement globale : les banlieues et les zones de non droit ; les jeunes – enfants et adolescents – en quête de repères et d’une identité ; la petite délinquance et le grand banditisme ; la survie dans la rue et les bidonvilles en pleine cité ; les compromissions pour l’obtention de budgets, celles lors d’une élection ou en prévision de la suivante ; les promesses invalidées par la réalité et la nécessité d’établir de véritables priorités… au grès de l’émotion du moment ; les journalistes consciencieux et ceux qui fabriquent l’évènement ; les statistiques arrangées ; les mauvaises habitudes confrontées à la transparence ; le fossé qui sépare les technocrates de ceux qui sont au contact des problèmes ; la vision égalitariste qui nie les réalités individuelles et refuse de les nommer ; et cette sempiternelle situation qui consiste à devoir faire plus avec moins…
Et si vous commettez l’erreur de la regarder en temps ramassé, disons en en deux ou trois semaines, vous aurez l’étrange impression que ce n’est pas seulement Baltimore ou même le système américain qui sont décrits ici. Une impression de déjà vu, en quelque sorte. Voire d’un présent par trop familier. Non, les séries TV américaines ne parlent pas que des États-Unis, même si elles ne le savent pas.
Si vous êtes véritablement pressés, je vous encourage à voir les deux dernières saisons. Mais ce serait dommage.
Ajouté le 04/09/2018 :
En août 2018, Les Echos publiaient un article qui me laisse perplexe.
La proposition de l’article est que ‘The wire’ annonce la victoire de Trump et du populisme. Elle est fondée sur l’opposition Trump/Obama et le fait que ce dernier en a fait sa série préférée. Certes, mais.
- Remarque 1 : cette série a été diffusée de 2002 à 2008. Un article de 2009 aurait tout aussi bien pu s’intituler « la série qui annonçait Obama ».
- Remarque 2 : si la série est servie par un véritable caractère ethnographique, il faut garder à l’esprit que la situation dépeinte n’a rien de nouveau et que bien des aspects ont été traités auparavant dans d’autres séries ; ou films.