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Mount Rushmore monument

Recompte

Il était une fois en Amérique… il n’y a pas si longtemps.

En 2000 survint un évènement dont les conséquences échappèrent alors à beaucoup d’entre nous. Mais, aujourd’hui, ce passé, pas si lointain que cela, nous a rattrapés. Et il ne s’agit pas d’un film de fiction.

Quand le processus électoral bégaie

Le 7 novembre 2000 se tient l’élection présidentielle opposant le candidat démocrate Al Gore (alors vice-président de Bill Clinton) au républicain George W. Bush (gouverneur du Texas et fils du prédécesseur de Bill Clinton, George Bush).

Or les résultats sont très serrés. Il s’avère que l’État qui peut décider du résultat est la Floride, laquelle compte 25 grands électeurs (ce sont ces derniers qui élisent le Président). Las, l’écart entre les deux candidats se révèle inférieur à 0,5%. S’enclenche alors une bataille juridique entre les deux candidats. Laquelle sera finalement tranchée par la Cour Suprême : le 12 décembre, elle interdit tout nouveau décompte des bulletins de vote litigieux en Floride pour des raisons de délais. Le 13, Al Gore décide de concéder la victoire à George W. Bush.

Cette séquence – fort bien illustrée dans le film ‘Recount‘ – en dit long sur la complexité du système électoral aux États-Unis dans lequel le Président est élu au suffrage indirect (oui, il arrive qu’un candidat l’emporte malgré le vote populaire). Citons, par exemple, le fait que les règles du jeu varient selon les États (et parfois d’un scrutin à l’autre) ; que certains, dont la Floride, introduisirent l’utilisation de machines (contestées) en 2000 ; ou encore que se déroulent plusieurs élections simultanément, histoire de faire simple. Sans parler du processus des primaires.

Mais ce n’est pas tout. Ces journées houleuses ne se limitent pas à la seule question mathématique. Les médias n’ont pas manqué de s’emparer du sujet. Ils ont alors mis en avant nombre de faits dérangeants : des trafics d’influence et de fortes pressions, y compris le jour du vote ; et des problèmes analogues dans plusieurs États, la question raciale, religieuse, etc. La Floride (dont le gouverneur était… le frère du candidat Bush) fut peut-être au centre du problème ; mais elle a surtout servi de déclencheur pour une crise autant politique que sociale.

Le jour d’après

Les conséquences ne furent pas immédiatement visibles outre-Atlantique. Aujourd’hui, il est difficile de ne pas les voir.

Tout d’abord, une certaine prise de conscience fit un temps illusion. Mais, à la vérité, le schéma resta le même avec quelques améliorations d’ordre technologique. Certes, les machines furent améliorées (de manière à proposer une interface plus claire). Mais les travers traditionnels demeurèrent : modification des règles ; évolution des critères permettant de voter… ou non ; liberté d’action des États, notamment pour les décisions relatives aux points précédents…

Parallèlement, l’Histoire se chargea de repousser ce sujet à l’arrière-plan : le 11 septembre 2001 et la guerre contre le terrorisme consécutive aux attentats occupèrent le devant de la scène pendant plusieurs années, y compris lors de la réélection de George W. Bush. Quant à l’élection de Barack Obama en 2008, elle entretint un temps l’illusion, malgré l’apparition de nouvelles mouvances ; mais cela est une autre histoire. En revanche, les élections suivantes démontrent bien que le sujet n’était pas anodin.

Mais le processus dépasse désormais la seule période électorale. La preuve, si besoin en était, fut fournie par la suite des élections de 2020. À savoir la contestation du résultat par le président sortant, Donald Trump. Et, surtout, par les incidents de janvier 2021 dont le pic de gravité fut atteint lors de l’invasion du Capitole. Depuis lors, ce sont les institutions elles-mêmes qui sont visées. Et la notion de légitimité est mise à toutes les sauces.

Retour vers le futur

Les vingt-cinq dernières années démontrent, si besoin en est, que rien n’est définitif. Et que cette vérité touche l’ensemble de la planète.

En 2000, les réseaux sociaux n’étaient pas très en vogue. Mais les courriels circulaient allègrement, même dans les milieux professionnels. Ainsi, l’un d’entre eux devint viral (selon l’expression actuellement à la mode) sur l’Intradef américain. Rédigé par un ressortissant d’un autre continent, il disait en substance : si cela s’était produit chez nous, les Occidentaux auraient immédiatement réagi ; et envoyé une force pour rétablir l’ordre. Cette épitre, tant dans la forme que dans le fond, sonnait juste. Et ironisait, par certains côtés, sur nombre d’évènements à venir.

On ne compte plus les modifications des constitutions et les fraudes. Les tentatives de coup d’État et les manipulations. Les utilisations pernicieuses des médias qui feraient pâlir d’envie le Comte de Monte-Cristo. Et, surtout, la remise en cause quasi systématique des résultats. Tout cela, très certainement, pour le bien des pays concernés (oui, c’est de l’humour). Avec l’appui de la technologie. Et la bénédiction des États-Unis qui plébiscitent une Constitution qu’ils sont, finalement, les premiers à mettre à mal.

Aujourd’hui, le mot clef est « légitimité ». En fait, à en croire les uns et les autres, plus personne n’est légitime, même dans son propre camp. Qu’importe le nombre de voix exprimées et obtenues. Aux États-Unis, le problème est posé par une élection au suffrage indirect : le vote populaire ne l’emporte pas toujours (après tout, il s’agit d’États unis). Ailleurs, il provient du fait d’une société très divisée (rassembler devient alors une mission presque impossible). Ou encore d’une culture de la force.

Conclusion

À sa manière « The land of the free » a contribué – et contribue encore – à défricher le terrain. D’une stabilité relative, nous sommes passés à une instabilité globale.

Dans ce cadre, les élections de 2000 constituent un marquant historique. Un des candidats se retire pour le bien du pays, lequel se retrouve alors derrière son nouveau Président. Les institutions sont sauves et la capacité des partis à travailler ensemble dans l’adversité perdure.

Cependant, les évènements survenus de novembre 2000 à janvier 2021 fournirent un terreau aux capacités destructrices. La séparation des pouvoirs et les garde-fous mis en place par les Pères fondateurs paraissaient constituer la solution ultime. Aujourd’hui, le douter est permis. Alors, évolution ou révolution ? À suivre.

Photo en en-tête : @2000olivierdouin / Mount Rushmore National Monument, Dakota du Sud, États-Unis