Victoire mais pas de raz de marée pour Joe Biden. Même s’il l’a emporté, la question demeure : pourquoi nous sommes-nous encore trompés sur ces élections ?
Le 7 novembre 2020, le scrutin des élections présidentielles américaines livre son secret : Joe Biden et sa colistière, Kamala Harris, l’emportent. Malgré tout, la bataille juridique autour du décompte des bulletins voulue par son adversaire se profile. Avec un air de déjà vu : celui du « recount » de 2000. Dans ce cas, ce fut la Cours Suprême qui, finalement, donna la victoire à George W. Bush contre son rival démocrate Al Gore. Le contexte était bien différent alors. Mais il semble difficile de ne pas s’y référer.
Maintenant et au-delà des résultats, une question demeure : alors qu’il y a un intérêt marqué (en France comme ailleurs) pour les élections présidentielles aux États-Unis, comment se fait-il qu’au cours de ces vingt années d’existence du XXI° siècle, donc pour 6 élections, les commentateurs et les experts se soient régulièrement trompés ? Si l’on excepte la réélection de Barack Obama en 2012, ce fut le cas en 2000, 2004 et 2016. En 2008, ils annoncèrent l’investiture certaine d’Hillary Clinton avant de donner leur faveur à Obama ; mais sans avoir une réelle compréhension de ce que serait sa présidence. Certes, à l’expérience de 2016, ils se montrèrent très prudents pour cette édition : ils se gardèrent bien de faire des pronostics mais insistèrent sur les sondages extrêmement favorables à Joe Biden. Ce dernier a, effectivement, gagné. Mais il n’a pas, pour autant, déclenché un raz de marée ; ce que confirment les résultats des élections au Sénat (très partagé) et à la Chambre des Représentants (légère avance Démocrate).
Alors pourquoi ? Méconnaissance ? Perception imprécise ? Lecture imparfaite de l’information ? Voire les trois à la fois ?
1. Méconnaissance
Pour comprendre les États-Unis d’Amérique et leurs élections, il n’est pas inutile de faire un peu d’histoire et d’appréhender leurs fondements et leurs institutions.
- Chaque État conserve une grande part d’autonomie : ce sont des États… unis.
- Ainsi, ce sont donc les délégués (grands électeurs) désignés par les États qui élisent le Président.
- Les États décident eux-mêmes des modalités du scrutin.
Il s’agit donc d’un scrutin universel, certes, mais semi-direct. Qui plus est, les règles peuvent varier d’un État à l’autre (à commencer par la détermination – légalement – de qui peut voter ou non) et d’une élection à l’autre. Ceci explique l’importance de la stratégie adoptée par les candidats pour courtiser les États (fonction du nombre d’habitants, partant de délégués ; de la situation du moment, etc.).
2. Perception imprécise
Pour comprendre un pays, il n’est pas, non plus, inutile de faire un peu de géographie et de s’intéresser à ses habitants.
- Il s’agit d’un pays immense qui s’étend sur 6 fuseaux horaires (le 5° pour l’Alaska, le 6° pour Hawaï).
- La situation (climatique, économique, démographique…) n’est, à l’évidence, pas uniforme.
- Les préoccupations des habitants varient donc fortement, y compris à l’intérieur des États dont certains sont eux-mêmes très vastes.
Considérer les États-Unis comme un bloc homogène et ranger ses habitants dans des boites hermétiques ne permet certainement pas de percevoir et de comprendre la réalité du terrain. Ni que le premier souci de chacun est d’exister et de subsister en fonction de sa situation et des circonstances.
3. Information décalée
A ce qui précède, s’ajoute la déformation quasi inévitable de la perception et de la compréhension de la situation.
- Les médias (journaux, chaines de télévision), au-delà de leurs tendances, s’intéressent quasi systématiquement aux trains qui n’arrivent pas à l’heure.
- Les sondages, pour pertinents qu’ils puissent être comme indicateurs, se situent la plupart du temps à un niveau stratosphérique.
- Les réseaux sociaux, récemment entrés dans la danse, amplifient et déforment bien plus qu’ils n’informent.
Il y a donc un phénomène de polarisation sur certaines situations ce qui occulte le reste. Par ailleurs, le tout est aggravé par une recherche de la simplification à l’extrême (« pour que l’auditoire comprenne bien… »).
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Cependant, il faut bien se rendre à l’évidence : ailleurs, c’est différent. Comprendre les élections présidentielles aux États-Unis (et le pays en général) implique connaissance et étude des situations générales et locales. Ce qui, il faut bien en convenir, nécessite un peu de travail.
- Donald Trump va, plus ou moins lentement, s’effacer. Il ne donnera plus de coups de boule à ses adversaires et n’écrira pas une autre page de superlatifs à l’image de son inoubliable discours de l’état de l’Union de février dernier.
- Joe Biden, pour sa part, va devoir batailler pour ramener, au minimum, un peu de sérénité dans le pays. Quant à régler des problèmes de fond qui, pour beaucoup, remontent aux origines., c’est une autre histoire.
- Dans tous les cas, les évènements sont venus rappeler qu’une compétition n’est achevée que lorsque le mot fin est écrit. La loi de la ligne d’arrivée en somme.
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Discours de victoire de Joe Biden (7/11/2020 – vidéo 15 mn)
« This is the time to heal in America » « A clear victory » « Not to divide but unify »
« It’s about people and that is what this administration will be about » « To rebuild the backbone of this nation: the middle class » « Make America respected in the world again »
« To march on the force of decency… fairness… science… hope«
Discours de victoire de Kamala Harris (7/11/2020 – vidéo 10 mn)
« America’s democracy is not guaranteed. It is only as strong as our willingness to fight for it » « You choose decency, fairness, science and, yes, truth »
« Dream with ambition. Live with conviction » (to the children)
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Et après (maj 15/02/2021),
- le 14 décembre 2020, le collège électoral vote l’élection de Joe Biden après plusieurs semaines de batailles juridiques enclenchées dans les États où les résultats sont les plus serrés ;
- le 6 janvier 2021, le Congrès se rassemble pour valider l’élection. Ce qu’il fait après des manifestations qui voient le bâtiment momentanément envahi
- le 13 janvier 2021, faisant, entre autres, suite aux évènements du 6 – « for inciting insurrection », la Chambre des Représentants vote la destitution de Donald Trump (232 à 197) ;
- le 13 février 2021, le Sénat confirme (57 à 43). Cependant, la majorité des deux tiers étant requise (soit 67 voix), l’ancien président est acquitté.
- le 20 janvier 2021, Joe Biden et Kamala Harris prêtent serment à l’occasion d’une cérémonie placée sous haute surveillance (cf. ici).