Cinéma historique : Histoire ou histoire ?
Les films portant sur des personnages et des événements historiques sont rarement intégralement véridiques. Cela provient parfois du manque de matériaux authentiques. Ou du fait que les réalisateurs mettent en scène leur propre vision. Ou parce que le budget ne permet pas de développer le projet et que le temps manque. Ou encore parce que les producteurs cherchent à capter soit un certain public, soit l’audience la plus large possible.
Est-ce obligatoirement une mauvaise chose ? Illustration en trois exemples récents.
1. « Rien… Et tout »
@2023olivier douin / Château d’Aljun
Lorsque sort ‘Kingdom of Heaven’ en 2005, je n’ai pu qu’aller le voir : j’adore le cinéma, j’aime beaucoup la filmographie de Ridley Scott et je suis un fan d’Eva Green. J’avoue être sorti de cette séance perplexe : mes connaissances sur les Croisades ont beau remonter au début des années 70, j’ai des doutes sur ce que je viens de voir. Je m’empresse donc d’acquérir quelques ouvrages français et étranger sur le sujet. Je constate alors qu’effectivement le film multiplie les écarts historiques – et parfois les contrevérités – qu’il s’agisse des événements ou des personnages. Il est également certain que sa tonalité est des plus contemporaine tant il est vrai que l’on observe l’Histoire à l’aune de sa propre époque. Cela dit, le film est très bien réalisé et les acteurs excellents. J’ai donc réellement du plaisir à le revoir de temps à autre, de préférence dans sa version longue. Tout en étant parfaitement conscient que je ne parcours pas un livre d’Histoire.
2. « Il est défait »
Un peu avant été paru ‘Alexander’ (2004) que, curieusement, j’ai visionné quelques mois après ‘Kingdom of Heaven’. Là, je me trouve en terrain plus favorable. Mes lectures sur Alexandre le Grand sont plus récentes et la trame générale de son épopée assez claire dans mon esprit. J’y vais pour le sujet et le personnage central, mais aussi pour Oliver Stone, Anthony Hopkins et Angelina Jolie. Mais, là, je sors de la salle agacé (mot faible). Un acteur principal – désolé monsieur Farrell – peu crédible, une histoire qui s’appuie sur une curieuse explication freudienne de la personnalité et des actions d’Alexandre, des itérations qui rappellent les changements de masque à répétition d’Ethan Hunt dans ‘Mission: Impossible 2’. Et, suprême sacrilège à mes yeux, un film interminable : j’ai envisagé à plusieurs reprises de sortir avant la fin (ce qui m’arrive rarement). Quelques années plus tard, me disant que je n’étais pas en état de grâce à l’époque (cela se peut, cf. l’exemple précédent), j’ai décidé de donner une seconde chance à ce film. Hélas, pour un constat identique. Fin de l’histoire…
3. « Honneur et patrie »
Fin 2023, le 2 décembre pour être précis- certains apprécieront le clin d’œil – je me décide à aller voir ‘Napoléon’, malgré les critiques. Ou, plutôt, en raison de critiques préalables négatives. J’entends me faire ma propre idée. Et puis, c’est Ridley Scott, non ? Ici, j’ai les idées assez claires, ayant des connaissances beaucoup plus récentes sur le sujet (mes dernières lectures sur l’Empire remontent à 2021). Je comprends très vite que l’Histoire est sérieusement arrangée. Mais je me fais à cette idée et décide de regarder un bon film. La longueur ne me dérange pas trop. D’ailleurs j’aurais probablement apprécié une version plus longue. Et le fait de traiter une période aussi dense en si peu de temps n’est pas une nouveauté au cinéma. Cependant, deux choses m’interpellent : tout d’abord, l’acteur principal accuse un âge compatible seulement avec la fin de vie de l’Empereur ; ensuite, sa mollesse générale ne cadre pas avec la vitalité avérée de son personnage. En fait, c’est le Joaquin Phoenix de ‘Gladiator’ (alias Commode) qui aurait convenu.
Conclusion
Que retenir de ces trois narrations ?
- Tout d’abord, Ridley Scott sait filmer les batailles. Depuis ‘The duellists’ jusqu’à ‘Napoleon’, en passant par ‘Gladiator’ ou ‘Kingdom of Heaven’. La réalité n’est peut-être pas au rendez-vous, mais le réalisme et le savoir-faire s’avèrent indéniables.
- Ensuite, il s’attache, à filmer des femmes à la forte personnalité. Ceci est d’autant plus intéressants que celles-ci ne sont pas obligatoirement le personnage principal : Ripley (‘Alien’), Thelma & Louise (titre identique), Lucilla (‘Gladiator’), Clarice (‘Hannibal’), Sybille (‘Kingdom of Heaven’), Marianne (‘Robin Hood’), Marguerite (‘The last duel’) et, bien sûr, Joséphine (‘Napoleon’). Cette dernière, d’ailleurs, aurait mérité de donner son nom au titre du film.
- Enfin, et surtout, le cinéma, fut-il, d’histoire, n’est pas l’Histoire. Mais il relate une histoire mettant en avant un thème donné dans un cadre historique. Si l’on recherche la vérité ou, du moins, quelque chose de proche, il est conseillé de se replonger dans les livres d’Histoire. Sans omettre, cependant, qu’il existe des rivalités entre historiens. Et des visions propres à chaque camp et à chaque protagoniste. A ce propos, je conseille le film ‘Angle d’attaque/Vantage point’ dont l’étude en la matière est fort instructive et pour bon nombre de sujets.
Évidemment, le raisonnement vaut pour les romans dits historiques : ce sont des fictions dont la toile de fond, plus ou moins nette, est fournie par l’Histoire ou bien provient de lieux réels (jusqu’à un certain point). Citons, par exemple, « Les rois maudits » de Maurice Druon (remarquable de précision comme en atteste la multitude de notes figurant dans les sept livres), « Les trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas ou, dans un autre genre, « Da Vinci Code » de Dan Brown. Mais ceci est… une autre histoire.
Photo en-tête @2023olivierdouin dans le Wadi Rum, Jordanie