Non, la révolution digitale ne date pas d’hier. Les militaires s’y sont déjà frottés et en ont retiré quelques enseignements qui donnent matière à réflexion.
C’est une certitude : la révolution numérique est partout. Toute entreprise qui le nierait et négligerait sa transformation semble vouée à l’échec. Cependant, compte tenu de l’ampleur du phénomène, il est judicieux de ne pas partir la fleur au fusil, de prendre un peu de recul et de réfléchir, par exemple, aux enseignements tirés par ceux qui y ont déjà été confrontés.
C’est ainsi que le ministère de la défense (ministère des armées depuis mai 2017) a amorcé l’informatisation intensive de ses états-majors au début des années 90. L’armée de terre française, pour sa part, a initié un programme de numérisation de l’espace de bataille à des fins opérationnelles au début des années 2000. Les leçons ne manquent donc pas qui s’appliquent à tous les types d’organismes ou de sociétés et qui, sous-estimées, peuvent mettre à mal le processus.
Examinons donc trois d’entre elles qui ne sont pas sans évoquer quelques idées reçues. Elles touchent directement à l’emploi, à la place de l’être humain dans l’entreprise, aux méthodes de travail.
La numérisation va détruire des emplois !
C’est effectivement ce qui s’est passé. Mais si l’objectif principal consiste à réduire ainsi la masse salariale, attention aux conséquences qui ne sont pas du tout indolores pour l’entreprise. En voici la démonstration.
Avec l’arrivée des ordinateurs sur le bureau de chaque officier traitant, il fut naturellement décidé que les états-majors feraient l’économie des pools de dactylos. Les conséquences ne se firent pas attendre :
- productivité en baisse. En effet, pour un même nombre d’heures, chacun devait désormais consacrer davantage de temps à la rédaction de ses dossiers ;
- qualité en baisse dans la mesure où la tyrannie des tâches quotidiennes et des « petits dossiers » avait un impact sur le temps restant pour effectuer un véritable travail de fond.
Les nouvelles technologies vont nous permettre d’être plus efficaces !
Oui. À ceci près que si le matériel constitue, effectivement, une condition nécessaire, elle n’est en aucun cas suffisante. Considérons la situation ci-après et mainte fois rencontrée.
Devant la poussée du phénomène, les décideurs s’en sont naturellement remis, dans un premier temps, à des experts techniques. Ces derniers, passionnés qu’ils étaient, ont donc proposé des solutions… techniques. Ce qui a eu comme résultat :
- d’une part, des déclarations par trop optimistes du genre : « nous sommes numérisés puisque nous sommes équipés » ;
- d’autre part, une perte d’énergie des utilisateurs. En effet, ces derniers ont été contraints à réfléchir à l’utilisation de ces nouveaux outils… après leur livraison. Voire à imaginer de nouvelles solutions véritablement pertinentes.
Le digital, c’est la maîtrise de l’information et la liberté d’action !
Oui, il y contribue fortement. À condition que l’on ne perde pas de vue le facteur humain. Pour illustrer cette assertion, voici deux exemples récurrents puisés dans la vie courante.
- Il fut un temps où les officiers traitants répondaient précisément à la question posée. Après avoir pris le temps de l’analyser. Ordinateur, réseau et accès accru aux données les incitèrent à retransmettre des masses de fichiers sans discernement et en jouant la carte de l’instantanéité. Il s’ensuivit pour tous une perte collective d’énergie à la recherche de l’information utile.
- Il fut un temps où lesdits officiers se rencontraient et dialoguaient régulièrement. L’arrivée du courriel les vit désormais échanger principalement par ce moyen, même lorsqu’ils étaient géographiquement (très) proches. Il en résulta une baisse de qualité des dossiers entre informations par trop lapidaires et, surtout, malentendus récurrents. Ces individus étaient rentrés dans l’ère de l’interprétation et du ressenti.
Conclusion
Certes, ce qui précède n’est que bon sens. Mais ces situations vécues, il y a une paire de décennies, continuent de se répéter ici ou là tant il est vrai que les mêmes causes produisent (souvent) les mêmes effets.
Les raisons évoquées sont des grands classiques : objectif mal cerné, approche exagérément technophile, organisation pensée à posteriori, croyance aveugle dans des slogans et formules par trop publicitaires. Or, la transformation digitale doit être menée comme un projet à part entière. Qui plus est, ce projet doit s’inscrire dans la stratégie d’ensemble de l’entreprise.
Il s’agit donc de commencer par une étude globale qui prenne en compte l’ensemble des facteurs. Au nombre desquels figure, en tout premier lieu, le facteur humain. Qu’il s’agisse du bien-être au travail, de la productivité et des batailles séculaires que se livrent anticipation et réaction, analyse et ressenti, collectif et individualisme.
Mais ceci est une autre histoire.
Cet article a été publié pour la première fois sur le site de GPO Magazine le 11 juillet 2017